Lucie Eidenbenz / Last plays

Last Plays est la dernière pièce (1) de Lucie Eidenbenz, formée au CCN de Montpellier et interprète pour plusieurs chorégraphes et compagnies (Marco Berrettini, Laura Kalauz, Mathilde Monnier, Maya Boesch et récemment le collectif Superamas). Le titre de la pièce évoque une variation autour de Last Days, film de Gus Van Sant sorti en 2005, qui met en scène les derniers jours de vie de Kurt Cobain, entre fiction et réalité.
Le texte de présentation de Last Plays confirme cette filiation rock en proposant une citation de Kim Gordon, fondatrice du groupe Sonic Youth, : « Pour moi, la musique est beaucoup plus un espace où le rituel peut advenir (…) La musique est en relation à la situation d’espace et aux corps, et à la façon dont le corps influence le son, et dont le mouvement affecte le son, et comment le public peut être un partenaire dans la création de l’expérience. À travers son accès à l’espace, le public est presque en train de confirmer que ce que tu fais est de la musique, ou au moins que c’est une performance. Ça ne serait pas la même chose sans le public » (2).

Lucie Eidenbenz s’appuie sur l’énergie du rock pour trouver un corps performatif.
Sur la scène, la première apparition, avant même la présence des corps, est celle d’une enceinte Marshall vintage et d’instruments de musique — guitare, percussions — suspendus dans les airs, qui peuvent être perçus comme des icônes, mais aussi comme des objets cinétiques, créateurs de dynamique et de mouvement. On songe aux objets dansants de 100 % polyester de Christian Rizzo et à l’utilisation d’objets dans une fonction chorégraphique, et non comme élément de décor. Ces instruments donnent le cadre et créent une ambiance sonore dense, tendue, dans laquelle les corps de Lucie Eidenbenz et Adina Secretan vont ensuite se glisser.
Le corps nerveux, subtil de Lucie Eidenbenz chute à plusieurs reprises. Ici, le moment avant la chute est prolongé à l’extrême, comme l’annonciation d’une défaite, d’une fin en train d’advenir. Une suspension avant le saut dans le vide.

L’énergique Adina Secretan rejoint Lucie Eidenbenz sur scène et elles créent ensemble des paysages rythmiques, dynamiques et sonores. Le spectacle est composé par des scènes qui se succèdent sans développement linéaire, et qui se donnent comme des frames d’un clip ou comme une composition musicale. Des pleins succèdent aux vides, les paroles alternent avec la musique ou se superposent à elle, la projection de vidéos s’entremêle avec le corps dansant. Ce qui a lieu relève à la fois du spectacle, de la chorégraphie, du concert rock et d’une fiction documentaire...
Les corps, qui prennent une connotation vibrationnelle et rythmique, et se métamorphosent en générateurs rythmiques et sonores, cèdent le pas à la figure humaine des musiciennes ou du public d’un concert rock. Une énergie féroce, chaotique, sauvage, pure puissance aux formes flexibles se déploie alors. Les corps semblent produire quelque chose autour et se tenir toujours à l’extérieur – des sons, des trajectoires, des traces — ils ne renvoient jamais à eux même. L’interaction entre les deux danseuses prend parfois des allures de confrontation, où l’énergie devient presque violente, où toujours les corps essaient de dépasser leurs limites, jusqu’à la transe, notamment dans les tours vifs et rapides de Lucie qui évoquent les derviches tourneurs, ou dans les secouements d’Adina qui rappellent quand à eux des shakers… en cherchant la limite ils prennent le risque de la chute, de la blessure, de l’ek-stase.

La scène se transforme par la suite en un pur concert rock. Le texte de la chanson d’Adina Secretan et Lucie Eidnebenz énonce : « your body is a desert, […] a big wave, […] a city, […] a wall, […] a holy bush, […] your body is electricity... ». Dans Last Plays, tout renvoie au corps, toujours le corps semble être le nœud et le point de rencontre des différents langages et atmosphères traversés dans la pièce.
Last Plays est un lieu où retrouver la puissance et la fragilité du corps rock, qui peut être rapproché au corps performatif actuel, encore puissant, cherchant la limite, l’extrême, l’anticipation de la chute, le dernier jeu, et doit être préservé comme un élan, ce que suggère l’ironique dialogue des deux caractères fictifs Derek Smalls et Marty Dibergi, que Lucie Eidenbenz reprend du « rockumentaire » This is Spinal Tap (1984) :

- Do you feel that playing rock 'n' roll music keeps you a child? That is, keeps you in a state of arrested development?
- No. No. No. I feel it's like, it's more like going, going to a, a national park or something. And there's, you know, they preserve the moose. And that's, that's my childhood up there on stage. That moose, you know.
- So when you're playing you feel like a preserved moose on stage?
- Yeah.

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(1) Jouée du 16 au 25 octobre 2014 au Théâtre de l’Usine à Genève
(2) Kim Gordon et Juita Koether in conversation, Is it my body? Selected texts, p.159


Crédits photos : Thébert Filliger
| Auteur : Luna Paese
| Artiste(s) : Lucie Eidenbenz

Publié le 26/11/2014