Mercure insolent de FJ Ossang

Si l'insolent, au sens usuel, est celui qui s'éloigne du respect que l'on attend généralement de tous, il peut aussi être le signe, d'après le Littré, de quelque chose d'extraordinaire et de proprement inouï. Le mercure insolent, c'est le cinématographe en tant qu'il n'est pas, et ne peu jamais être, là où on l'attend. La chimie argentique, comme le dit bien FJ Ossang, est le mystère de cette "musique de la lumière" (p.29) qui apporte ce que nous ne pouvions anticiper véritablement. "Tout se dérobe et nous désarme quand un film survient pour nous souder à la multiple intermittence - et permettre qu'on se refasse" (p.31). Pourquoi avons nous renoncé à cette loi de l'accident, de l'ouverture à tous les possibles que tout scénario devrait ménager, pour entrer dans une logique ou tout doit être maîtrisé, anticipé, calculé, avant même qu'une seule image, qu'un visage ou un paysage aura rendu possible, ne retourne au grand fleuve où le film commence et finit (p.50) ? 

Mercure insolent s'ouvre sur le constat que la bataille pour la chimie - l'alchimie - du cinéma, d'un point de vue économique, est belle et bien terminée. Cela fait 30 ans que l'image s'est laissée engouffrer par les technologies numériques. L'équipement des salles n'aura fait qu'accomplir un mouvement engagé par la publicité, le clip, les séries télévisées, et dont la logique veut que l'insolence poétique du cinéma soit elle aussi contenue, stockée sur des supports informatiques à la durée de vie incertaine. L'accident n'est plus le geste fondamental du poème-cinéma, capable, à travers les lignes brulantes de FJ Ossang, de nous ravager et de nous relever en même temps, il signifie désormais cette dimension de perte, de disparition parfois dramatique, dont nous avons tous fait l'expérience une fois au moins devant un disque dur capricieux. Il n'y a dès lors rien d'étonnant à ce que le système de fabrication des films, dans son idéologie, son fonctionnement, et cette manière qu'il a d'induire une inflation pour que le cinéma ne trouve pas à se déployer en dehors de lui, nous fasse croire que le film, ce n'est plus ce moment où la pellicule se laisse manger par la lumière pour que des figures s'y inscrivent, mais le projet écrit vingt, trente fois, qui, pour être reçu doit écarter du film à faire toutes images désirantes, désirées, pour réduire notre expérience visuelle à une sorte de découragement (p.55).

A quoi bon les cinéastes, demande FJ Ossang ? Les films semblent aujourd'hui refuser toute dissemblance, toute singularité. La pérennité du support n'importe plus guère. Qu'un film disparaisse dans un crash de disque dur, l'exploitation nous le restituera en dix exemplaires, sous de nouveaux titres, mais à travers des traits rigoureusement identiques, dans l'année qui vient.

A quoi bon les cinéastes en temps de manque ? Ils ne servent à rien, sinon à donner du possible dans un monde qui de plus en plus veut en proscrire l'idée. Leur tâche, la seule qui vaille et qui doit être la mesure de leur art, est "d'écrire d'un côté, puis tout changer parce qu'il faut" (p.140). L'industrie aura beau faire, il y aura toujours une voix pour nous renvoyer à ce paradoxe d'une nécessité libre, et ouvrir une brèche pour que s'y engouffre notre regard, loin de l'utile, de l'agréable, où il pourra se laisser happer par un paysage solaire ou un visage qui rayonne d'une lumière inexplicable. Et si l'industrie devenait si puissante qu'elle pourrait nous empêcher de laisser circuler nos images parmi les siennes, il serait encore possible de creuser le lit du fleuve-film par le mouvement de l'écriture.

Mercure insolent, Editions Armand Colin, Paris, 2013 - 20 €


| Auteur : Rodolphe Olcèse
| Artiste(s) : FJ Ossang

Publié le 15/10/2013