Philippe Quesne / Bivouac au Potager du Roi à Versailles

Comme chaque année pour les Journées du patrimoine, le Potager du roi à Versailles connaît une effervescence toute particulière: pour cette sixième édition, le festival Plastique Danse Flore y déploie une programmation tout en fraicheur. Des installations surprises au détour d’une allée, des visites guidées et chorégraphiées par Xavier Le Roy, ou encore des formats courts de chorégraphes, parmi lesquels Nacera Belaza ou Mathilde Monnier, rythment les trois jours qui se prolongent tard dans la nuit avec une proposition inédite. Le metteur en scène Philippe Quesne y plante son Bivouac.

La nuit tombe en douceur sur le Potager du Roi. A l’heure où des petites guirlandes s’allument dans les pommiers, courent le long des rangées de  reines-claudes, avec les derniers aromes de l’été, le jardin respire un charme terrible. La proposition de Philippe Quesne se calque justement sur une fascination citadine pour une nature qui semble reprendre ses droits. Les spectateurs se resserrent petit à petit à proximité de la grille d’accès au parc Balbi. Quelque chose va se passer près de l’étang. «  Attention ses bords sont glissants  !  »
De puissants éclairages affolent les papillons de nuit. Leur lumière blanche, violente, ainsi que le regroupement silencieux des spectateurs provoquent un sentiment incongru, irréel, et pourraient marquer le début d’un glissement vers la fiction. Nourrie par des références cinématographiques et littéraires, l’imagination est sur le point de se mettre en branle. Le metteur en scène s’adresse directement aux gens – il semble même un peu désarçonné par leur nombre assez important. Son intervention ponctue la sortie de la fiction, agit comme un rappel à l’ordre  : il y quatre scènes à tourner, cela ne va pas prendre plus de 30 – 45 minutes.
Le théâtre quitte la boite noire, s’empare des moyens du cinéma, investit un décor naturel et fait appel à des figurants. Le metteur en scène se mue en réalisateur  : il dirige un public conquis d’avance, tout en se passant avec brio de la hiérarchie figée et de l’appareillage lourd d’un tournage de cinéma. La nature expérimentale du projet y est pour beaucoup, dans cette façon de court-circuiter les modes de production à l’œuvre dans le septième art.


Comme souvent dans les pièces de Philippe Quesne, le travail prend corps dans l’exposition même des effets et artifices qui le constituent, l’espace de vie déborde vers l’espace théâtral et finalement cette contagion fonctionne dans les deux sens. Avec des propositions de Maximo Furlan ou encore Jonathan Capdevielle, qui ont vu le jour au fil de différentes éditions du festival FAR à Nyon – ce détail n’est peut être pas anodin –, Bivouac marque un pas de plus dans l’exploration des modes de créations qui épousent un territoire, tout en introduisant un glissement sémantique essentiel. Qui plus est, par sa facture hybride, le statut de l’œuvre s’apparente aux développements théoriques de Nicolas Bourriaud dans son texte désormais «  culte  » L’esthétique relationnelle. Le public n’est plus convié à assister à une demonstration, une représentation, mais à prendre part à une production en train de se faire : des photographies, des images filmées, rushes d’un film en progrès. Et le metteur en scène/ réalisateur de   mentionner une première version de ce travail visible sur vimeo  : Garden Party, tourné lors du festival Entre cour et jardins, 2011 à Dijon et Barbirey sur Ouche.


La simplicité extrême du geste artistique de Philippe Quesne ne saura dissimuler la complexité d’une proposition aux multiples niveaux de réception. En effet, le metteur en scène offre à son public l’accès à un paysage nocturne inédit, dans lequel il intervient avec des éclairages, des feux de signalisation et autres fumigènes,   dans lequel il propage un léger brouillard. D’un même trait Philippe Quesne met le public devant un embryon d’histoire grâce à ses personnages fétiches de Big Bang (2010). Après avoir planté leurs branchages et feux de camp sur les scènes de théâtres, ces bonshommes aux apparences préhistoriques, qui boivent des cannettes de bière et savent faire fonctionner un radio-transistor de voiture, lancent enfin leurs bateaux gonflables à l’eau, glissent sur le lac et amarrent sur d’autres rivages. Le déplacement est saisissant, d’autant plus que de mêmes motifs s’y retrouvent.  Là encore, le metteur en scène dévoile à son public les ficelles de la fabrication, aussi bien dans le spectacle vivant que dans le cinéma et l’invite à une forme de convivialité, de vivre ensemble en toute simplicité : Bivouac est un acte poétique nomade dont nous attendons les prochaines itérations.



Publié le 15/10/2013