Animal Lost à l'Artdanthé, Vanves

La soirée d’ouverture est détonante. Fanny de Chaillé, dont les pièces sont régulièrement chroniquées sur notre site, y présentait sa Gonzo conférence, placée dans la lignée du journaliste et critique rock Lesters Bangs, figure incontournable de la contre-culture américaine. La performeuse Christine Bombal se pare de tous les attributs de la rockstar, en revêt les tics et les reflexes, se jette dans la fosse et se laisse porter par le public transformé, par son acte même, en foule d’adulateurs.
L’électricité de l’air n’est pas prête à retomber avec l’arrivée sur le plateau du Théâtre de Vanves de la compagnie menée par Yossi Berg et Oded Graf. Ces jeunes chorégraphes venus d’Israël, remarqués au festival Montpellier danse 2011, ne sont jamais là où on pourrait les attendre, et leur énergie folle est parfois déconcertante. Nous restons dans des thématiques qui ont trait à la construction identitaire, aux projections et stéréotypes, proches également de l’univers du show-biz. Après les rifs de guitare et l’imaginaire Nirvana de la Gonzo conférence, un tube raï de Rachid Taha retentit sur scène, dont l’exubérance est amplifiée, mise en résonance par le déhanché persistant, discipliné et décomplexe à la fois, des six danseurs israéliens. Une performeuse portant à la main un masque de cheval qu’elle enfilera quelques instants plus tard nous a déjà mis dans le bain avec une prestation délurée d’entertainment. Dans son discours débité à toute vitesse dans un anglais / américain, sourire bright à la clé, se mêlent, comme dans une bande son accélérée, des paroles extirpées des hits pop à la une des top musicaux. Il y va de sucettes choupa-choups, de voyages à Paris, d’un mister DJ… alors que ses acolytes arrivent un à un sur scène, affublés de masques d’animaux. Avec ou sans ces masques grotesques et hilarantes, les six danseurs s’évertuent à relever et assumer les identités les plus banales, mais, considérées hors de tout contexte, inattendues, remuant et remettant ainsi en question des tas des stéréotypes et préjugés. Ces revendications identitaires, absurdes, parfois contradictoires exposent la barbarie réductrice des formules qui réifient les individus. Narcotrafiquants colombiens, lesbiennes espagnoles, dentistes danois y passent. « Chorégraphe israélien » aussi, syntagme qui ne saurait faire référence qu’à une certaine tradition de la danse contemporaine israélienne et à l’école de la Batsheva, qui sème d’avantage le trouble et ouvre vers de possibles lectures au second degré. Ce serait certes une façon d’appréhender les heurts stylistiques entre l’humour cinglant, l’habillage type divertissement et les moments de pathos d’une danse toute en force et sensualité. Il y a, dans cet alliage secret, presque contre-nature, quelque chose du tiraillement, de la tension inouïe qu’expérimente la jeunesse israélienne. Au delà des gestes parfois grandiloquents, la force de cette danse réside au niveau des contacts. Le moindre touché est chargé d’une terrible indétermination : cela peut basculer à tout moment du côté de la caresse ou de la brutalité.
Plus que la photo de famille finale – des enfants sages rassemblés avec des guitares autour d’un feu de camp – nous retiendront l’audace jusqu’au-boutiste et irrévérencieuse d’une séance de strip-tease collectif et appliqué, l’image obsédante des yeux exorbités et inexpressifs d’un panda, des rictus de cheval ou de lapin, d’un bec avide et agressif de pie, autant de figures qui renvoient le spectateur à sa propre animalité.



Publié le 15/10/2013