Inauguration MO.CO. / L'Hôtel des collections / Distance intime

Des politiques qui s'engagent pour l'art et la création. Une équipe curatoriale qui allie  exigence des propositions et conscience de sa mission citoyenne, à l'aune d'une « nouvelle écologie de l'art qui est en train de se mettre en place » (1). Un tissu universitaire d'une grande effervescence et en forte demande de stimulation artistique et intellectuelle, dépassant largement le noyau tout naturellement concerné des étudiants de l'école des Beaux-Arts, du Master Exerce au sein d'ICI - CCN ou encore de l'école d'architecture. Le public montpelliérain au sens large, sa curiosité et son appétence à s'ouvrir de nouveaux horizons. Tous ces éléments sont autant ingrédients du MO.CO, un projet d'envergure dont Montpellier n'a pas à rougir devant les autres grandes métropoles européennes.

La Panacée, centre d'art et haut lieu de convivialité au cœur de l'Écusson. L'école des Beaux-Arts. L'inauguration de l'Hôtel des Collections marque de fait l'avènement du MO.CO., institution ambitieuse, dont les trois domaines d'action connexes reconfigurent en profondeur l'environnement artistique en favorisant les circulations et synergies. Singularité digne d’être remarquée : comme son nom l'indique, l'ancien Hôtel Montcalm est le premier lieu exclusivement consacré aux collections du monde entier, s'inscrivant ainsi dans la lignée des réflexions de Harald Szeemann, l'un des plus passionnants curateurs du XXème siècle, ayant lancé le concept de musée des obsessions. Loin d'être une simple addition de pièces à différents égards remarquables, toute collection, qu'elle soit privée ou publique, témoigne, au-delà des tensions pulsionnelles et des enjeux économiques et symboliques, de dynamiques souterraines qui traversent une époque. La vocation de cet Hôtel montpelliérain d'un genre tout particulier est d'ccueillir une collection certes, tout en accompagnant son exposition d'un point de vue clairement identifiée. Le regard que porte Yuko Hasegawa, directrice artistique du Musée d'art contemporain de Tokyo, sur la collection Ishikawa a tout pour séduire. Composée d'œuvres d'art conceptuel et postconceptuel, allant des « classiques » des années 70 à de jeunes artistes actuellement très en vue, au-delà de sa grande cohérence, cette collection s'avère japonaise de par son attention portée aux formes minimales, discrètes et subtiles, dans une tension constante entre des émotions intenses, le politique, la mémoire individuelle et l'histoire. La conjonction de ces éléments fait de l'exposition Distance intime une excellente manière de rendre sensibles et de partager les valeurs défendues par le MO.CO., l'extension du domaine des possibles, tout en proposant au public montpelliérain une véritable rencontre.

Autour de la mer de Setouchi les initiatives se développent en faveur de l'art contemporain : Inushima, Naoshima, Kurashiki, Okayama... C'est dans cette dernière ville que M. Ishikawa a décidé d'inscrire le fond de sa collection. Certaines de ses pièces les plus passionnantes entretiennent désormais des dialogues subreptices dans les espaces de l'Hôtel des collections, multiplient les signes, ambigus, mais entêtés, enclenchent les jeux de résonances, invitent les visiteurs à se saisir de la matérialité même de matières et de formes simples, de sons, de lumières, d’objets et de situations fictionées à partir de prélèvements dans le réel, se livrent enfin en tant que questions ouvertes, promesses pudiques, minimalistes et lourdes de potentialités.

La curatrice Yuko Hasegawa tisse un parcours où des noms incontournables de l'art conceptuel, tels Marcel Broodthaers, Felix Gonzalez-Torres, Mike Kelley, Lawrence Weiner côtoient des créateurs toujours en activité. Car, autre fait remarquable, M. Ishikawa imagine sa collection en tant que permaculture artistique : un écosystème dans lequel tout est vivant et se développe de manière organique : des paroles, des idées, des projets qui se ramifient.

Pourtant - et c'est à cet endroit, dès le démarrage du parcours d'exposition, que la proposition curatoriale de Yuko Hasegawa s'accorde avec la ligne que se donne l'équipe du MO.CO. - pas besoin de toutes ces références pour éprouver l'impulsion irrépressible, la sensation de vitesse, d'excitation, de montée d'adrénaline spécifique à une joute verbale à bâtons rompus ou à un combat en règle où les flèches fusent de tout parts ! Les pointes de Ryan Gander s'emplantent dans les murs et le sol, Ftt, Ft, Ftt, Ftttt, Ftt or somewhere between ... (2010), vecteurs de champs de forces aux polarités équivoques, à même de nous faire éprouver l'acuité d'un geste contemporain. Et voici les visiteurs qui se prennent au jeu. Un peu plus loin, au détour d'une petite salle, le Development Wall (2016) de Liam Gillick accueille leurs ombres démultipliées par de petites sources luminescentes encastrées dans un simple mur habillé en bois de cèdre. Tout en restant fidèle à sa pratique engagée dans la critique sociale et à l'usage des matériaux lisses et « pauvres », l'artiste post-conceptuel anglais réalise ici une œuvre qui crée son propre environnement, rayonne d'une lumière certes blafarde et livre son espace tel une scène sensible aux présences fantomatiques. Jeux de rapports, de distances, d'échelles et de résonances encore, auxquels semblent répondre, en investissant pleinement le registre sonore, les pièces d'Anri Sala.

Déployée à la ronde sur les murs d'un nouveau volume architectural qui vient se joindre aux bâtis déjà existant de l'ancien Hôtel Montcalm, une série de Date Paintings, 1994 de On Kawara, pierre angulaire de la collection Yshikawa, constitue le cœur de l'exposition Distance intime. Acrylique sur toile, une typographie standard - tout comme celle que nous pouvons lire sur le dos des cartes postales de cette autre série, I Got Up, envoyées chaque jour à ses proches -, ces constats strictement factuels laissent sourdre, en creux, des éléments d'autobiographie, témoignent des ancrages fragiles d'une subjectivité sans sujet dans le monde contemporain. Une même tension entre l'intime et une perspective historique et sociétale anime les étendards en carton, sacs en plastique et autres papiers manuscrits, laqués d'or, sertis des étoiles du drapeau américain et frappés parfois à l'effigie de la Statue de la Liberté, désossée par l'artiste d'origine vietnamienne dans une œuvre antérieure. Bouteilles de whisky et de Coca Cola juchées au sol complètent cette installation monumentale et dérisoire, Massive Black Hole in the Dark Heart..., créée par Danh Vo pour sa rétrospective au Guggenheim à New York en 2018, déjà en possession du collectionneur japonais et à peine un an plus tard accessible au public montpelliérain.

« Vrais » et « faux » ready-made nous entrainent vers un quotidien dont les composantes acquièrent des contours instables, appellent la bascule et l'accident, se chargent de tout le poids étouffant des projections et fantasmes inavouable, véhiculées par la culture populaire, dans un dialogue augmentée entre les œuvres de Fischli & Weiss et Mike Kelley.

Le quotidien encore, sombre, anodin et pourtant à la limite de l'insoutenable, réceptacle et révélateur des peurs qui hantent le subconscient individuel et collectif, prolifère dans une perspective écologique post-humaine, du film de Pierre Huyghe, Untitled (Human Mask), tourné dans la zone interdite autour de la centrale de Fukushima en 2014. A cette terreur sourde répond la vidéo de Shimabuku, Swan Goes to the Sea, 2012, odyssée crâneuse d'un cygne-pédalo voguant vers l'horizon dégagé de la mer. Jouant peut-être la carte du contre-point, Yuko Hasegawa tient à insuffler une nuance d'humour et d’audace ludique, volontairement naïve à cette Distance intime dont elle cartographie avec une précision exquise les pulsations.

Lors de ce week-end inaugural, l'Hôtel des collections et son jardin reconfiguré par Bernard Lavier ont accueilli toute une constellation de propositions performatives des plus engageantes - comment pouvait-il en être autrement, l'équipe curatoriale de la nouvelle institution artistique montpelliéraine étant dirigée par un spécialiste de la performance ?!! Jacopo Miliani entrainait ainsi les visiteurs dans un jeu d'effeuillage trouble, Body oh boy nobody !, conjurant tout autant l'histoire des représentations que des affects comme la séduction, le désir ou la gêne. Des étudiants du Master Exerce avaient investi, malgré les fortes chaleurs, des modules à habiter par le travail de la danse, créés par Artelozera. Quant à Geoffrey Badel, grâce à son rituel de purification apotropaïque, An it harm none, do what ye will, le MO.CO. se trouve résolument placé sous des auspices favorables !

(1) Vincent Honoré, directeur de la programmation et des expositions du MO.CO, dans un entretien pour Le Monde, juin 2019.


Crédits photos : Marc Domage, Jean Philippe Mesguen, Guillaume Ziccarelli, Shimabuku

Publié le 01/07/2019