Rencontre avec Johanna Vaude

Johanna Vaude réalise, depuis 2011, des films de recut pour le magazine Blow Up d'Arte. Une vingtaine de films courts, compositions hybrides à partir de films de sources diverses, dessinent une cartographie singulière du cinéma populaire. Rencontre avec Johanna Vaude, qui replace ces films de commande dans son itinéraire.

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ABLC : Comment qualifierais-tu les films que tu fais pour Blow up ? Sont-ils de simples films de remontage ? Engagent-ils des gestes plus vastes en terme d'écriture filmique ?

Johanna Vaude : Je ne qualifierais surtout pas les films que je fais pour Blow Up Arte ! Tout simplement parce qu'à chaque fois que je réponds à Blow Up, c’est toujours de façon différente, en fonction de la thématique ou de l’auteur. Le cinéma est un vaste champ, constitué de réalisateurs, d’auteurs, de genre les plus variés les uns des autres. Donc, lorsque je fais un film d’après les images d’Abel Ferrara ou de Jim Jarmusch, on a évidemment pas à faire aux mêmes visions ou orientations. Si je fais un film d’après des images de Western ou des casinos au cinéma, là encore je n’y réponds pas de la même manière. C’est comme dans la vie, on n’a pas les mêmes conversations avec les mêmes personnes. Les échanges sont différents d’une personne à une autre : la sensibilité rentre en compte.

Avec Blow Up, j’apprends à regarder de façon très vaste, c’est-à-dire sans juger ce que je vais étudier. J’adopte l’adage de Socrate : « La vraie sagesse est de savoir que vous ne savez rien. »

Donc j’aborde les films, les auteurs, en les accueillant, les observant, en les écoutant attentivement dans le but de les comprendre, mais aussi d’apprendre, de m’enrichir et d’enrichir à mon tour le sujet pour en tirer le meilleur.

ABLC : Ce corpus aborde des films vraiment très différents. Est-ce que tu te reconnais artistiquement dans toutes les cinématographies que tu rencontres ? Est-ce que tu as le sentiment que ton geste, parfois, engage une posture plus critique par rapport au matériau dont tu t'empares ?

Johanna Vaude : Je privilégie la diversité. Le cinéma est empli de cette diversité. Blow Up revisite les cultures cinématographiques. La culture, c’est justement la diversité. Diversité des sujets, des goûts, des sentiments, des idées, des images, etc. Je n’ai pas besoin de me reconnaître dans tout, mais j’avoue en être parfaitement capable. Capable de ramener dans mon monde visuel et sonore toutes les images et sujets possibles. Avec Blow Up, nos réalisations sont avant tout des hommages. Et je trouve qu’être positif dans la vie est un exercice qui est devenu de plus en plus difficile de nos jours. Je ne souhaite pas m’enfermer dans une vision ou un discours unique. Je cherche, j’explore pour continuer de franchir les frontières que nous avons tendance à toujours mettre entre nous et ce que nous ne comprenons pas ou refusons d’intégrer.

Est-ce que j’ai une posture critique ? J’ai un esprit critique en général, sur la vie et pas seulement sur les films. Donc, je ne suis pas critique de cinéma, mais j’aborde tout avec ma vision personnelle. Lorsque je fais un Blow Up pour Arte, je crée un film tout simplement. C’est l’occasion de dire et de transmettre de nombreuses choses. C’est l’occasion de faire jouer Leonardo Di Caprio ou Scarlett Johansson dans mes propres visions. Ce qui est primordial pour moi, ce n’est pas la citation, mais l’expression. Si vous regardez bien, mes recut jouent tous sur différents niveaux de lecture. Je fais énormément confiance au spectateur qui en fera son propre décodage, son propre ressenti, sa propre analyse. Jusqu’où regardera t-il ? Ne verra t-il qu’une compilation sur Scarlett Johansson ou ressentira t-il davantage ce que je fais dire et jouer à Scarlett Johansson ? Donc, utiliser des images de The Avengers ne me pose aucun problème, puisque l’enjeu n’est pas l’ultime citation, mais bien l’ensemble du puzzle que constitue chaque expression d’une image, d’un son, d’un dialogue.

ABLC : Je pensais à des cinématographies de séries B. Les arts martiaux ou les films de boxe par exemple, mobilisent un univers qui n'est pas celui du cinéma d'avant garde. Est-ce que c'est un cinéma qui te nourrit, qui t'habite ou est-ce que ce n'est finalement qu'une matière première pour ton travail ?

Johanna Vaude : Pour les Arts Martiaux et la boxe, ce sont deux disciplines qui m’ont nourrie de façon générale. J’ai toujours été fascinée par les cultures asiatiques. J’ai pratiqué le judo durant assez longtemps. Leur philosophie du combat, leur art, voilà tout ce qui me nourrit. C’est pour cette raison aussi que j’avais réalisé Samouraï en 2002. Le sujet des arts martiaux m’a été proposé par Luc Lagier. J’ai donc à cette occasion complété mes connaissances en matière de films asiatiques, qui ne se limitaient plus au motif du samouraï mais qui s’ouvraient aux autres arts martiaux et au kung-fu en particulier. Ce qui m’a frappée dans tous ces films, c’est l’aspect totalement déjanté, fou, chorégraphique, enjoué et plein d’humour ! Comme le dit très justement Bruce Lee dans son film Enter the Dragon : « A good fight should be like a small play, but played seriously. » (Un bon combat doit être considéré comme un petit jeu, mais joué sérieusement). Cette phrase résume parfaitement pour moi l’acte créateur.

Concernant la boxe, c’est moi qui ai proposé la thématique à Luc Lagier qui a tout de suite accepté. La boxe me tenait à cœur depuis longtemps, tout simplement parce que mon père a pratiqué très sérieusement ce sport et que je l’ai regardé combattre avec mes yeux ébahies d’enfant. J’ai également suivi les matchs qu’il regardait à la télévision. La boxe est un sport très intéressant d’un point de vue symbolique, car il ne consiste pas uniquement à donner des coups, mais il faut apprendre également à en recevoir ! Il y a cet aspect d’endurance qui est très important et qui résonne en moi.

J’ai donc voulu créer un unique match, en n’utilisant que de très courts extraits de films (de 0,5 seconde à 3 secondes maximum), pour restituer cet aspect d’endurance physique et psychique, de trouble visuel et d’instinct animal.

ABLC : En termes de cinéma, le western ou les arts martiaux sont de véritables continents, qui draine une foule considérable de films. Comment fais tu pour te plonger dans cette matière-là ? Comment se passe le travail de sélection et d'opération sur les images ? J'imagine que cela peut-être vertigineux…

Johanna Vaude : Oui, c'est vrai. Mais en même temps, il y a des films que je connais déjà. Et c’est là que ma mémoire et mes souvenirs rentrent en jeu. Il y a aussi des films que je découvre, mais c'est toujours agréable de les regarder puisque j’adore le cinéma ! Du coup, je ne le subis pas comme un travail lourd et difficile. Au contraire, je fais cela avec beaucoup de plaisir et j’espère que ce plaisir se ressent tout autant pour ceux qui regardent ou découvrent mes vidéos.

Concernant ma sélection d’images et de sons, soit elle se fait suivant l’idée que j’ai déjà en amont sur un sujet, soit elle se révèle au fur et à mesure que j’analyse les films. En terme d’investissement temporel, cela ne me semble pas extrêmement long, car je réalise les films de Blow Up dans un laps de temps relativement court. Mais j’ai toujours travaillé rapidement, même avec les films que j’ai réalisés bien avant Blow Up. Dés que je sais ce que je veux, je cible très vite les images, les sons et la réalisation se fait assez rapidement. C’est un rythme que j’ai toujours eu.

ABLC : Tu envisages ces films comme de la pure critique visuelle ou comme un travail de plasticien ?

Johanna Vaude : Ni l’un, ni l’autre ou peut-être les deux à la fois. Ce sont des questions que je ne me posent plus, car à chaque fois qu'on me renvoie dans un domaine, le domaine en question me renvoie vers une autre catégorie, parfois même celle qui vient de m'envoyer ici. Bref, ma pratique n’est pas conventionnelle, car je change d’apparence et de technique d’un film à un autre. Pour Luc Lagier, qui est critique de cinéma, il les considère comme des rêves. Et j’aime beaucoup cette définition, car les rêves ont toujours fait partie de mon activité, de mes influences. Les rêves sont des projections psychiques, émotionnelles, reliées à des souvenirs, des collections d’images et de sons. C’est une activité humaine qui demande d’activer d’autres zones de notre cerveau que j’aime réveiller chez le spectateur. Alors voici ce qu’on peut dire : je réalise de façon éveillée des films rêvés.

Mon premier film réalisé en Super 8 L'œil sauvage, ainsi que mon premier film réalisé pour Blow up UFO Dreams, résument parfaitement cette idée.

ABLC : Ce que je perçois dans ces objets, c'est que ce sont des regards portés, qui permettent d'embrasser des univers cinématographiques pour en restituer quelque chose. Et en même temps, ce sont des objets plastiques en soi, qui ont leur autonomie et leur justification intrinsèque. J'aime particulièrement quand ils s'éloignent de la matière travaillée pour produire des formes tout à fait étrangères aux films qu'ils mobilisent. C'est ce va et vient qui me semble caractéristique de ce travail. Dans Blade Runner, les mots ont leur importance. C'est le film qui t'a envoyée vers le poème ou l'inverse ?

Johanna Vaude : Un jour, Luc Lagier m'a demandée de choisir un film qui à l'origine  est une œuvre littéraire. J'ai pensé à Blade Runner, car j’adore le film et j’aime aussi énormément les nouvelles de Philipp K. Dick. J'ai donc relu le livre « les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? », et me suis rendu compte à quel point Ridley Scott a pris beaucoup de liberté et s’est énormément éloigné de l’œuvre originale. Il s’est totalement approprié le sujet et en a fait un détournement très singulier, ce que j’adore... J’en suis arrivée à la conclusion que je n’arriverais pas à trouver de lien littéraire entre les deux, du moins, si je me pliais à tout prix à le faire, cela n’aurai pas forcément été intéressant intellectuellement. Alors, j’ai fouillé dans ma mémoire et puis s'est rappelé à moi ce poème qui se trouve dans le film The Wolf Man de George Waggner. Quand j'ai vu ce film, j'ai été frappée par ce moment où la vielle gitane parle à l'homme qui va mourir dans ses bras. Elle le console avec ses simples mots qui parlent de pluie, de larmes. Cela m'a renvoyé à Blade Runner, et surtout à cette scène de pluie qui est culte. A la fin du film, on est bouleversé devant l’androïde qui décrit ses émotions et dont la vie s’éteint doucement devant nos yeux. Nous avons tous vécus la mort de quelqu’un, et je voulais pouvoir répondre à cette inéluctabilité de la vie à travers la voix d’une femme, et le son d’un poème qui sont comme les mots d'une madone qui apaise et rassure un être qui s'en va.

ABLC : Comment raccordes-tu ces films, qui sont des commandes, à ta pratique de cinéaste ?

Johanna Vaude : Je ne sais pas si il faut forcément les raccorder ou les comparer. Ma première période de films réalisés en pellicule et numérique, très hybrides dans leurs formes visuelles et dans leurs propos poétiques, sont des essais fait avec les moyens du bord, c’est-à-dire, très peu de moyens. Ma volonté était de réaliser des films différents de ce que je voyais habituellement, autant dans le cinéma dit classique que l’expérimental. Tous les types de cinéma ont leur propres codes et traditions. Donc, je cherchais, j’explorais. Je voulais projeter le spectateur dans des mondes parallèles, imaginaires et fictionnels. Partager un voyage, une traversée vers des dimensions inconnues que je pressens.

Lorsque je fais une carte blanche pour Blow Up, je réfléchis surtout au sens de la commande. Qu’est-ce qu’une commande ? Beaucoup de gens pensent que c’est la fin de la liberté pour un artiste. Mais je suis en total désaccord avec cette idée. Je m’aperçois que la liberté n’existe pas d’elle-même, du moins pas dans notre monde. Au contraire, c’est quelque chose qu’il faut aller chercher, qu’il faut créer. Par exemple, en réalisant mes premiers films toute seule, je me sentais souvent bloquée de ne pouvoir faire apparaître toutes les images que j'avais en tête, faute de moyens. Je n'ai pas pour autant abandonné et j'ai dû inventer ces moyens. D’où l'hybridation des techniques et la récupération d’image pour certains films ou partie de films, car ce n'était pas une pratique systématique dans ma démarche.

Avec Blow Up, la contrainte est différente, car je dois uniquement utiliser les images déjà existantes, parfois si connues, qu’il faut trouver le moyen de les transcender. Et la transcendance a toujours existé en art, c’est même un point essentiel à une œuvre. Donc, je pense souvent aux peintres qui devaient représenter des scènes de la Bible. Scènes très connues et mythiques. Les grands artistes ont su transcender leur sujet. Si on sait regarder, on verra au-delà de la représentation qui nous est donnée. Voilà exactement à quoi je pense lorsque je réponds à une commande de Blow Up.

ABLC : Dirais-tu que ce sont des films de remploi, purement et simplement ? Est-ce qu’ils vont au-delà de cet usage ?

Johanna Vaude : Il y a des tas de termes pour ça : found footage, remploi, recut, mashup, détournement, hommage… Me concernant, cela va au-delà de la question du remploi pour celle ou celui qui verra au-delà des premières apparences. Je ne fonctionne pas avec des grilles de lecture. Je regarde et je fais avec un esprit tout ouvert à ce qui peut advenir. Et selon ce que je regarde, découvre, je ne réagis pas de la même façon artistiquement. Je fais des films selon mes outils aussi.

Blow Up me permet d’aller plus loin dans l’expérimentation de la fiction. Raconter, synthétiser une histoire en 4 ou 8 minutes, avec tous les raccourcis, les collisions et  les combinaisons qu’offre le montage. C’est une façon pour moi d’explorer de mieux en mieux l’aspect narratif, comme par exemple dans ma revisite des Robots au cinéma (I’m more than a machine) dans lequel le montage vient tracer une histoire : l’existence d’un robot, de sa naissance à sa mort, en passant par l’éveil d’une conscience. Parallèlement au montage j'utilise aussi beaucoup le son pour imaginer la narration.

ABLC : Ce corpus propose une sorte de cartographie ou d'histoire du cinéma populaire. Est-ce que tu as imaginé de faire un Blow up sur les Histoire(s) du cinéma de Godard ? 

Johanna Vaude : Non, je ne l’ai pas encore imaginé car je viens de les découvrir. J’ai trouvé que c’était très intéressant, surtout par rapport au contexte de l’époque. Si je m’en réfère à mon étude sur l’hybridation dans le cinéma expérimental, Godard réalise vraiment un geste de « greffe ». Ce qui est fabuleux, c’est de voir comment Godard s’approprie tout de suite un nouvel outil qui est la vidéo encore émergente à l’époque. C’est comme pour Andy Warhol, je viens de découvrir que lui aussi n’a pas eu peur de s’emparer des premiers ordinateurs pour réaliser ses portraits qu’il faisait habituellement en sérigraphie.

ABLC : Et en termes de geste, est-ce que pour toi, ce travail s'inscrit un peu dans le prolongement de ce que les Histoire(s) du cinéma ont ouvert ?

Johanna Vaude : Oui forcément, on ne peut nier l'héritage de ce qui a été fait avant par Godard et d'autres. Personnellement, j’ai découvert le détournement et le remploi par le biais des arts plastiques. Les surréalistes notamment avec leur montage photographique. Par contre, Godard m’a fait découvrir le montage vif et incisif au sein d’une fiction : A bout de souffle que j’ai découvert jeune et que j’ai adoré. Donc, Godard à ouvert pour moi cette voie de la fiction montée de façon concise, le « jump cut ».

ABLC : Il y a des gestes qui peuvent être suffisamment forts pour répercuter même là où on ne les connait pas. C'était aussi le sens de ma question.

Johanna Vaude : Oui tout à fait. Je mentionne cet aspect là dans mon étude de l'hybridation. C'est ce que je nomme « l’hérédité ». Il y a parfois des choses oubliées depuis longtemps qui ressurgissent à une époque donnée ou qui s'expriment de façon spontanée là où on ne l'attendait pas. Ce sont les mouvements de la vie, les va et vient qui sautent parfois une ou plusieurs générations.

ABLC : Je pensais aussi à la mise en œuvre d'une sorte de réflexivité sur le cinéma avec les outils du cinéma, d'un regard critique du cinéma sur son histoire.

Johanna Vaude : Je comprends ce que tu veux dire. Mais je n’ai pas d’idéologie, et je regarde surtout le potentiel créatif du cinéma. Le cinéma est pour moi la convergence de toutes les autres expressions artistiques : la musique, la peinture, le graphisme, le théâtre,  etc. et il continue de se décliner. Son potentiel n’a pas fini de grandir, et c’est aussi cette croissance qui m’intéresse.

ABLC : Tu fais la composition sonore de tes films toi-même. Est-ce quelque chose que tu as appris à faire a posteriori de l'image ?

Johanna Vaude : Au tout début de ma pratique, je ne savais pas créer le son. J'utilisais des morceaux qui existaient déjà, mais cela a posé des problèmes de droits pour l’édition du DVD Hybride. A cette occasion, j’ai du travailler spécialement avec des musiciens pour refaire les bandes sonores. Ces collaborations avec d’autres artistes venant de la musique ont été très enrichissantes pour moi. Ils m’ont beaucoup appris et en les regardant faire, j’ai compris petit à petit comment fonctionnait les logiciels. Je me suis donc lancée, et j’ai créé mes bandes sonores. Du coup, je suis encore plus proche de ce que je veux réaliser. Mais cela ne m'empêche pas pour autant de collaborer encore avec des musiciens.

J’écoute beaucoup de musique et tous les styles qui peuvent exister (comme les films). Donc je travaille beaucoup à l’oreille, même si j’ai des notions de solfège, car j’ai pratiqué le piano plus jeune. Avec Blow up, l’occasion d’approfondir ma pratique musicale s’est beaucoup développée, d’autant que je réalise quatre carte blanche par an. Pouvoir faire la musique me permet de m’approprier totalement le contenu. J’ai réussi de cette façon à faire chanter Scarlett Johansson dans mon univers, à faire voyager dans le temps différents films, en invoquant La jetée de Chris Marker, Orphée de Jean Cocteau aux côtés de Minority Report de Spielberg ou encore Terminator de James Cameron.

Parfois je ne crée pas du tout de musique originale, mais plutôt du sound design, comme pour ma revisite de The Tree of Life de Terrence Malick, ou celle des films de Sam Peckinpah.

ABLC : C'était déjà le cas de tes précédents travaux mais, ce qui caractérise les films pour Blow up, c'est que la question rythmique est très importante. Comment est-ce que les matériaux s'enrichissent l'un l'autre ? Est-ce que tu travailles l'image et le son séparément ?

Johanna Vaude : Je commence toujours par le son, avant de faire le montage images. Ce n’est pas ce qui se pratique habituellement, mais c’est comme ça que je fonctionne. Pour être plus précise, j’imagine le film dans sa globalité en sons et en images avec les intentions, les émotions et les aboutissements. La musique me permet d’exprimer les mouvements émotionnels, d’installer la mise en scène, l’ambiance. Puis les paroles tirées des différents films vont venir former un seul et même dialogue, au service de mon film. Elles vont se répondre les unes aux autres et enrichir la réflexion et le fil conducteur que j’ai imaginé. Quand je crée le son, j'imagine déjà l'image et le montage. Les deux sont très imbriqués. Pourtant, ce que j’ai projeté mentalement ne va pas toujours se réaliser comme prévu. Certains extraits que je pensais utiliser ne vont finalement pas avoir l’expression et le potentiel que je souhaitais et je vais en définitive la trouver ailleurs, parfois dans un film que j’avais presque négligé.

ABLC : Ce travail de la bande son en amont des images, c’est ce qui donne à la dynamique rythmique cette dimension très musicale.

Johanna Vaude : Oui, mes films sont de plus en plus musicaux. Les bandes sons que je faisais avant été plus des expérimentations sonores, et maintenant, elles deviennent beaucoup plus musicales.

ABLC : Les films Blow up sont des objets qui se destinent à une diffusion Internet. Est-ce que cela impacte leur forme, ou est-ce que tu te sens vraiment libre dans la réalisation ?

Johanna Vaude : Oui, ce mode de diffusion change nécessairement la façon de faire le film. Il bouscule mes habitudes, et c'est tant mieux. C’est comme de passer de la pellicule au numérique. Il faut s’adapter au média, le comprendre pour ensuite le maitriser et lui faire dire ce qu’on souhaite exprimer. Je n’ai aucun problème à faire un film en pellicule ou en numérique, pour le grand écran ou internet, ce sont simplement des outils avec chacun leur potentiel propre. Comme je le dis souvent, mais je n’hésite pas à le répéter : ce n’est pas l’outil qui fait une création, il n’est qu’un moyen et non une fin en soi. Car tout peut être artistique, cela dépend uniquement de nous. Ce ne sont pas les outils, les techniques, les disciplines, les citations qui rendent un geste artistique, mais la vision de l’auteur. Demain je pourrai faire autre chose que du remploi, ma vision sera toujours là.

ABLC : Et tu cherches à faire exister ces films ailleurs que sur le web ?

Johanna Vaude : Non, pas vraiment. Ils ont été fait pour le web et c'est bien comme ça.   Les films que je fais pour Blow Up ne m’appartiennent plus vraiment. Ils s’envolent dans le cyberspace et font leur vie. Il arrive qu'ils soient projetés dans des endroits totalement imprévus, comme au Ministère des finances, ce dont je suis très heureuse. Le festival Traverse Vidéo et le festival Silhouette qui suivent mon travail depuis plusieurs années projettent régulièrement mes films. Le festival Les passeurs de lumière, en Bretagne, me remet un prix pour l'ensemble de mon travail, le Lux de Valence et Commune Image les ont projetés lors d’une soirée focus. Certains programmateurs ont remarqué mes vidéos par le biais de Blow Up, du coup, j’en profite pour leur faire aussi découvrir mes réalisations précédentes.

Le public qui regarde mes films sur le site d'Arte ne connait pas forcément le cinéma expérimental, mais cela me plait énormément de pouvoir leur faire découvrir une autre façon de faire et de regarder le cinéma.

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N'hésitez pas à consulter le site de Johanna Vaude, No limits for vision.


Crédits photos : Johanna Vaude
| Auteur : Rodolphe Olcèse

Publié le 19/04/2016