Révolution Zendj de Tariq Teguia

Ne rien lâcher, persister à travers les flux, contre les souffles contraires, au risque de disparaître ou de se fondre dans la lutte, et redresser la carte des espoirs.

Souvent dans les films de Tariq Teguia, le personnage est en quête et cette quête ne mène nulle part. C’est le mouvement et les déplacements, engagés dans une forme de dérive productive, qui placent le protagoniste et nous le montrent s’élancer dans une reconfiguration de l’espace et du temps. L’espace et le temps bruts, pures matières. L’espace et le temps du cadre de l’image, puissances premières du cinéma. Les espaces et les temps des mondes et de leurs abords : les antagonismes du présent, ce qu’il nous reste ou nous parvient des civilisations passées ou lointaines, nos horizons incertains.

Souvent aussi dans les films de Tariq Teguia, une quête en croise une autre.

Dans Révolution Zendj, le jeune journaliste Ibn Battutâ rencontre Nahia, à Beyrouth. Lui vient d’Algérie et au prétexte d’enquêter sur l’état de la « Nation arabe », il poursuit les traces d’un soulèvement oublié, la révolte des Zendjs, esclaves noirs, contre le Califat abbasside vers le 8e siècle en Irak. Elle est palestinienne, sans nation dit-elle, voyage sur les pas de la jeunesse militante de son père, depuis exilé en Grèce : elle vient remettre de l’argent à des réfugiés du camp de Chatila. Elle et lui brûlent d’agir, et sont pourtant engagés dans la recherche d’une origine, plus ou moins mythique – peut-être pour mieux expier les humiliations, retrouver le sens de l’histoire, l’esprit de la révolution.

Le film lui-même dans l’histoire de sa fabrication entremêle les quêtes et les échelles. Écrit en 2009, son tournage a commencé avant que ne débute la révolution tunisienne et que n’éclatent les Printemps arabes. Réévalué au cours de voyages et d’événements flous et cruels, il trouve sa forme en 2013 et nous arrive en France en pleine déferlante.

Tariq Teguia oppose à la violence, aux frontières ou à la bêtise la puissance picturale de l’image en mouvement. Il compose des personnages comme des figures, ancrés dans le présent et porteurs d’enjeux symboliques. Ceux qu’il défend fusionnent et entrent en collision avec l'opposant.

C’est une grande respiration que le film nous offre si on se laisse aller à la somnolence et à l’éveil, entre la pesanteur et l’élan, la torpeur et l’utopie. Les trajectoires que dessinent les personnages au gré de leur quête se frôlent, se perdent, se désirent. Un paysage à la fois politique et cinématographique se reconfigure. Lucide dans leurs fantasmes, rêveurs contre l’adversité, ces jeunes visages que filme Tariq Teguia cherchent, sondent et arpentent, résistent. L’image topographie et le cinéma se fait sismographe des territoires idéologiques. C’est l’approximation magistrale du travail de Tariq Teguia : le plan est géologique, la couleur minérale, la lumière organique. Sa caméra décale, le montage brise, les éléments apparaissent, circulent et nous échappent. Une histoire-monde se déroule sous nos yeux. Suivant ces personnages pris dans le terrible jeu de la géopolitique, nous voyageons dans un lointain si proche, une absurdité si commune, un quotidien si brûlant. La précision architecturale s’articule à l’indétermination spatiale ; la subtilité des raccords ou des niveaux sonores se détourne des usages habituels. Nous sommes confus. Nous entendons le silence. Un cri, peut-être, s’amorce. Les fantômes du cinéaste le réclament. Les Zendjs, 1789, Brecht, la Palestine, Jack Kerrouac, Jean-Luc Godard, le peuple Grec.

À la fois didactique et anarchiste, spontané et chorégraphié, intime et universel, cruel et comique, tendre et absolu, Révolution Zendj flotte entre les contradictions, sans doute pour mieux combattre les extrêmes car entre ces pôles, nulle part ailleurs, vibre une ligne inédite, dont l’amplitude amoureuse pourrait être la revendication.

--
Révolution Zendj (Thawra Zanj)
, de Tariq Teguia avec Fethi Gares, Diyanna Sabri, Ahmed Hafez, 134’, Algérie – France – Liban - Qatar, 2013. Sortie en salles en France le 11 mars 2015.

Le Centre Pompidou propose l’ensemble des films du cinéaste et des rencontres du 6 au 15 mars 2015


| Auteur : Clément Postec

Publié le 11/03/2015