Panda d'Anthony Lapia

Un jeune couple est installé dans une voiture à l'arrêt, logée au fond d'un parking. Erika, une vingtaine d'années, fait semblant de conduire le véhicule, qu'un zoom avant nous permet d'approcher progressivement, jusqu'à y pénétrer à notre tour. La petite Fiat Panda va donner au film son titre, mais aussi l'essentiel de son cadre et un espace privilégié pour permettre à une intimité de cheminer progressivement vers la possibilité de sa manifestation. C'est ainsi à la manière d'un quasi huis-clos qu'Anthony Lapia essaie de capter les relations incertaines et fragiles, comme elles le sont toujours à cet âge, qui se tissent entre Issa et Erika. Les voici donc embarqués pour un aller-retour nocturne vers la mer, supposé être le premier pour la jeune Erika, qui avoue rapidement s'y être déjà rendu trois ans plus tôt et y avoir vécu l'éclosion d'un érotisme juvénile, au risque de perdre la confiance de son ami. C'est l'occasion pour elle de mettre des mots sur des désirs et des fantasmes qui travaillent secrètement Issa, toujours au volant de la voiture, soudain mis à mal par ces aveux ingénus et gagné par une tension qui contraste singulièrement avec la candeur d'Erika. 

Ce qui intéresse Anthony Lapia au premier chef, et ce que lui donne la voiture comme cadre cinématographique, c'est assurément cette proximité avec les comédiens, qui ont la charge de faire le film tenir sur le fil invisible qui lie une certaine forme de simplicité et la violence de blessures enfouies. Car l'enjeu est bien de lever le voile posé sur une sensibilité à vif vers laquelle le film franchit, quand Issa, démuni, livré à la confusion de sentiments trop vite mis en lumière par la jeune fille, donne un coup d'accélérateur et réveille ainsi une sorte de démesure cachée qui planait sourdement dans l'habitacle de la voiture, en attente de la moindre brèche pour déborder enfin. Panda n'est donc pas seulement un film de direction d'acteurs, mais à travers celle-ci, et plus décisivement, une tentative pour trouver la distance juste, qui permette de capter dans une parole a priori anecdotique ce qui la vrille par avance, cette brutalité soudaine d'un désir toujours en excès sur nos possibilités.

Le peu d'ouvertures visuelles qu'offre la voiture dans le dispositif du film est mis au service d'un parti pris cinématographique radical et puissant. Nous avons tous fait l'expérience de la voiture comme lieu où se prolonge notre intériorité, comme espace susceptible d'accueillir nos échanges les plus secrets, et capable de révéler en nous une impatience et une violence que nous nous méconnaissions. Ici, l'habitacle de la voiture n'a pour ainsi dire aucune extériorité. Le seul dehors auquel le film nous ouvre un accès est borné par la portée des feux de la voiture. La plage elle-même, où cette histoire entre deux intimités va se poursuivre et se sceller dans le foyer lumineux des phares de la Panda, se perd dans une nuit obscure. Le monde, pourtant a portée de main, est comme inaccessible, il doit s'inventer et se redécouvrir à travers des gestes qui, par cette vertu de la première fois, ignorent leur portée véritable, laquelle est précisément d'ouvrir la clôture qu'ils croyaient nécessaires à leur accomplissement, et de permettre à la nuit la plus profonde de montrer un peu de cet avenir qu'elle promet de nous rendre aux premières lueurs de l'aube.


| Auteur : Rodolphe Olcèse
| Lieu(x) & Co : Côté court

Publié le 01/07/2014