Ina movible de Jean-Claude Taki

Le cinéma a en propre de pouvoir composer à partir d'images d'origines et de qualité diverses. Jean-Claude Taki en sait quelque chose, qui de Greek Salad à Sotchi 255, donne corps à des narrations écrites à partir d'images trouvées dans des archives ou tournées avec un téléphone portable. Comment faire sien, pour les mettre au service d'une expression personnelle et singulière, des images glanées, ramassées ici et là ? Entièrement réalisé avec des images d'archives puisées dans le fond de l'Institut National de l'Audiovisuel, Ina movible donne une nouvelle direction à cette traversée du monde tel qu'il se représente et se documente, par le biais de ce média dont le rôle a été considérable dans l'histoire du cinéma et dont le visage a tant changé, la télévision.

C'est évidemment le montage qui permet de tisser un sillon à travers ces images d'une génération passée qui dit beaucoup sur la notre. La sélection de plans prélevés dans un fond d'archives qu'on imagine océanique devient un acte qui consiste, au sens littéral, à prendre des vues, pour montrer comment elles n'ont pas fini de nous parler, et peuvent assurément témoigner, au-delà d'elles-mêmes, de ce que nous sommes. Le paysage au sein duquel nous existons se donne sous le signe d'un invariant et les itinéraires qui sont les nôtres semblent repasser par les mêmes lieux et les mêmes chemins que ceux que nos aïeux ont dessinés avant nous. La permanence et le changement des formes, les figures du même saillant à travers ses altérations manifestes, sont les questions que nous adresse Jean-Claude Taki, à la faveur d'un jeu de mot qui, dès le titre de son film, signale la dimension toute contradictoire d'une existence lancée comme un mobile dans un débat permanent avec elle-même et avec le monde où elle est jetée.

L'archive dit à la fois le commencement d'un être et ce qui le commande ou en décide. Ina movible jette une sorte d'éclairage sur ce qui n'en finit pas de naître, aujourd'hui encore, où les mêmes immeubles inventés hier se dressent et jalonnent la périphérie des grandes villes. Si, dans le film, le constat peut être fait d'une certaine régression, il faut reconnaitre que les propos énoncés, isolés de leur contexte d'énonciation, et pour cette raison même, excèdent la seule époque où ils ont été formulés. C'est une manière sans doute pour Jean-Claude Taki de mettre en évidence que toute expérience vécue dans un temps donné rejoint celui des périodes antérieures qui l'ont d'une certaine manière rendu possible. Et il n'est pas anodin ici que le terme de période puisse désigner la durée du retour à soi d'un astre dans la révolution qu'il exécute autour de son orbite. Paradoxalement, l'usage d'images d'archives dans Ina movible sert moins à dire le passage du temps qu'à indiquer en lui comme un retournement, un recommencement. C'est que le monde, tel ce couple qui cherche à tenir debout dans un tube de fête forraine qui interdit toute forme d'équilibre, tournant sur lui-même, est constamment reconduit à cette nécessité d'organiser "un grand bordel", comme le dit Jean-Luc Godard in fine de l'aménagement de la région parisienne.

Il est beau que la parole soit donnée, au commencement et à la fin du film, à un cinéaste qui, le premier, à fait de l'histoire du cinéma en tant que telle une matière créatrice. Tracer des lignes, inventer un chemin dans un amas d'images et de sons de toutes sortes, rendre ainsi praticable une situation a priori inconfortable, n'est-ce pas le sens même et la puissance du cinématographe ?


| Auteur : Rodolphe Olcèse
| Artiste(s) : Jean-Claude Taki
| Lieu(x) & Co : Côté court

Publié le 18/06/2014