Arnold Pasquier / L'italie

Un corps dans l'espace apporte au cinéma sa matière première. La première, c'est-à-dire celle à partir de quoi tout ce qu'il peut mettre en œuvre devient possible. Le cinéma d'Arnold Pasquier dessine des lieux en y déplaçant des corps, de danseurs le plus souvent. Les espaces dont il s'empare peuvent être des friches ou des chantiers. Le cinéma doit pouvoir nous donner le sentiment trouble que quelque chose s'achève et commence en même temps, ce que dit bien le titre de l'un de ses films, La vie continuera sans moi. Partant, il n'est guère étonnant que l'amour soit un motif dont ses films cherchent à saisir la manifestation. L'amour en effet est ce phénomène mystérieux qui peut se relancer toujours vers de nouveaux territoires quand quelque chose vient blesser son élan. 

Dans L'italie, le regard de Paolo parcours la façade d'un immeuble à l'architecture contemporaine, avant de se poser sur la silhouette d'Arthur, un homme qui se tient droit, devant lui, venu pour le guider vers l'Italie, où il espère pouvoir oublier Barbara, son amour perdu. Apparition soudaine et familière, Arthur invite Paolo à suivre le raccourci qu'il lui propose à travers les immeubles et chantiers du 13e arrondissement, et lui donne l'occasion d'évoquer lors de ce cette ballade ses souvenirs liés à l'Italie. Le film se joue de toute logique spatiale ou temporelle. Une femme apparaît au détour d'un escalier et ouvre alors la marche alors qu'Arthur a disparu. Image probable de Barbara, Paolo évoque pourtant avec elle son absence, avant que la discussion ne se poursuive avec Arhur. Ces procédés d'apparitions / disparitions dans le décors d'une ville en train de s'édifier placent le cinéma du côté de l'enchantement et du merveilleux. Ils donnent à voir la parole, dans son caractère évocatif, comme un acte susceptible de nous mettre en présence d'un visage, d'une silhouette disparue. L'Italie est un film sur le pouvoir de l'imaginaire, dont les sortilèges sont capables de nous faire voyager plus loin que les trottoirs sur lesquels nous allons le pas trainant.

L'évocation, dont le sens premier a à voir, selon le Littré, avec la magie, agit en effet dans le film comme une puissance de rappel et ce à plusieurs niveau. Quelques signes nous mettent en chemin vers les terres du sud en se joignant aux souvenirs de Paolo. Des grandes affiches publicitaires pour une automobile aux noms de ville italiennes donnés aux grands ensemble des Olympiades, l'itinéraire que s'inventent les deux hommes est parsemé d'indices qui ouvre l'espace à un lointain constamment devant eux et qu'ils ont pourtant toujours déjà atteint. C'est ce que semble indiquer cette scène imprévisible où Arthur, devenu guide touristique pour un groupe de passants surgis de nulle part, fait l'historique de l'un de ces bâtiments que nous avons tant croisé que nous ne savons plus les voir. 

Si ce sont les corps qui nous donnent accès aux espaces qu'ils traversent, alors la manière dont ils s'y tiennent doit être capable de révéler en eux une couleur inédite. C'est toute l'ambition de l'ultime séquence du film, qui conjugue cinéma, chanson et geste chorégraphique, pour nous donner dans un seul et même mouvement ce que le film a déroulé en suivant plusieurs chemins improbables, un dépaysement possible, niché dans le secret de nos trajets les plus quotidiens.


| Auteur : Rodolphe Olcèse
| Artiste(s) : Arnold Pasquier

Publié le 23/03/2014