François Chaignaud et Cécilia Bengolea / Dub Love

La salle est comble, les gens sont serrés, se serrent plus, l'attachée de presse est tendue, trop de réservations, trop de confirmations de réservations, peut-être, c'est la première de F. Chaigneaud et C. Bengolea.

En face, un plateau presque vide : un soundsystem (enceintes) et un projecteur comme seul décor. Aussi un miroir ? On peut se demander si ce miroir fait partie de la scénographie ou si les deux chorégraphes l'ont intégré, après coup ; si sa saleté et les traces de main sont volontaires ou si elles ne sont que le résultat des échauffements et répétitions.

Comme dans leur spectacle précédent, Altered Natives’ Say Yes To Another Excess. Twerk (créé le 24 octobre 2012 au Centre G. Pompidou à Paris), le DJ commence seul, cette fois c'est High Elements. Entouré de ses machines, sur scène sans être sur scène, dans un coin côté cour, quasiment avec le public, laissant la plateau de danse vide, il « balance du gros son ». Certainement peu habitué à jouer dans cet endroit, dos à un public assis qui ne vient pas forcément écouter sa musique mais plutôt voir ce que nos deux chorégraphes vont en faire, il a l'air stressé.

Arrive F. Chaignaud, en académique ; il commence le spectacle accroupi sur les pointes dans une démonstration de force et d’équilibre. Quel interprète ce F. Chaignaud, il montre tout au long de la pièce une maîtrise parfaite du geste, très athlétique mais surtout très gracieuse. Puis vient A. Pi, aussi sur pointes, avançant tel un insecte, on la sent beaucoup moins à l'aise à faire des pointes. Enfin, C. Bengolea tournoyant sur elle-même, apparaît, très puissante et sûre.

Chacun des trois interprètes exécute ces mouvements d’accroupissement, de marche et de tournoiement, puis s’ajoutent des rondes ou chorégraphies synchronisées, le tout toujours sur pointes comme pour rappeler la rudesse, l’âpreté du son Dub. S’insèrent également des gestes empruntés du public d’un soundsystem (balancement autiste d'avant en arrière, mime de la préparation d’un joint, etc.).

Et High Elements dans tout ça ? Il jouera sa Dub, très minimale, parfois proche de la techno, une Dub actuelle, un peu éloignée des vieux standards jamaïcains de King Tubby, Lee Perry ou Scientist, mais très puissante, entrainante pas du tout agressive. Il se trémousse, il donne envie de danser. Il joue quasiment en permanence, sauf un court instant – très beau d'ailleurs – où seul les frottements des pointes des interprètes résonnent dans la Ménagerie de Verre. Mais High Elements c'est avant tout un DJ/producteur qui interagit avec un public, une ambiance, des interprètes. Or dans Dub Love, peu d'échanges avec les trois danseurs, avec le public ; le DJ est en retrait, ne regarde pas les danseurs, enchaine ses sons. Il y a pourtant un moment d'interaction : les trois interprètes prennent le micro et deviennent toasters, au service de la musique. C'est un moment assez touchant car on les sent tous les quatre, enfin proches, s'amuser. Une bascule semble se produire lorsque High Elements prend le micro et que les F. Chaignaud, C. Bengolea et A. Pi s’agenouillent dans le soundsystem, comme happés par la musique Dub. Que peut-il surgir de cette musique qui envahit maintenant tout le plateau ?

A cet instant, on aurait pu attendre une interprétation improvisée lâchée, libre et innovante ; au contraire les danseurs semblent retenus, embourbés dans des gestuelles très traditionnelles, des déhanchés, des courses, des pas très "dubiens", revenant également aux mouvements du début de spectacle. Au sortir de ce spectacle on se demande si on vient d'assister à une première ou à une générale. Il y a un goût d'inachevé, de trop épuré.

Peut-être est-ce au fil des représentations que les quatre artistes trouveront les points de rencontre permettant ces moments de lâcher prise, de fécondité et d’amour pour la musique Dub.

*

De l'épure à la vacuité, il n'y a quelquefois pas grand-chose. Cette fois-ci, ils semblerait que nous soyons dans le presque rien. Presque rien de décor, de costumes et surtout d'idées et d'ébranlements. D'un parti pris de départ prometteur – ouvrir les scènes de danse contemporaine aux musiques et aux gestuelles actuelles, et cette fois à la Dub et au rituel des soundsystems – on aboutit à un spectacle sympathique à force d'inachèvement, voire de faillite.

Il y a bien un intérêt à voir se jeter sur scène ces quatre artistes, trois danseurs et un DJ, alors qu'ils ne semblent pas prêts à nous offrir la pièce qu'ils avaient imaginé créer et qu'ils nous avaient annoncée. Plus que jamais, F. Chaignaud et C. Bengolea, le félin et la hyène, paraissent porter sur le plateau leur personnalité d'interprètes toute entière ; puisqu'ils n'y a pas grand chose à exposer, peu d'œuvre, ce qui se montre, c'est l'artiste lui-même. Et là, à n'en pas douter, on est dans l'épure. L'audace de la prise de risque, la grâce, la précision, la puissance, la complicité, le plaisir, la virtuosité éclatent dans le moindre mouvement, dans une course, un accroupissement, un tressautement d'épaule, etc.  

La présence de la troisième danseuse, maladroitement perchée sur ses pointes, apporte un décalage, un trouble dans le couple F. Chaignaud / C.Bengolea manifestement déjà bien trop routinier et sûr, et encore une fois, du pas grand chose de Dub Love le regard bascule dans l'observation d'un jeu triangulaire des plus intrigants. Que se passe-t-il pour cet acolyte, A. Pi ? Où se trouve-t-elle, que fait-elle et comment la traite-t-on ? Comment s'articule-t-elle à ceux qui signent la pièce, comment sa gestuelle s'associe-t-elle à celles des deux bêtes de scène qu'elle accompagne ? Comment son corps anguleux, presque raide et pourtant bondissant, fait-t-il tantôt figure et tantôt fond par rapport aux physicalités tout en souplesse et en puissance des deux chorégraphes ?

Bref, si la pièce n'est pas là, si la déception est grande et le spectacle de peu d'importance, de cette quasi vacuité surgit la manifestations d'enjeux et de phénomènes qui ne manquent pas d'intéresser et de toucher.


| Lieu(x) & Co : Ménagerie de Verre

Publié le 02/12/2013