Éditorial
Je est un autre

Alors que l’espace médiatique se trouve saturé de « je suis » et de « je ne suis pas », la formule rimbaldienne, inscrivant l’altérité au cœur de l’être et du sujet, ouvre une troisième voie salutaire. C’est peut-être avec le poème, qui introduit de l’autre, de l’étranger dans la langue, que ce travail commence. Mais le cinéma aussi « s’inscrit dans la possibilité d’un regard qui ne soit pas subjectivement assigné [1]. » Avec Rimbaud, Baudelaire et Mallarmé, avec l’invention du cinéma et de la psychanalyse, l’art n’a-t-il pas définitivement changé de fin, la quête du Beau faisant place à une quête de l’Autre ?

Il est frappant de constater, à l’heure des assignations et des sommations identitaires, combien les œuvres dont il est question sur notre site cherchent précisément à exposer et à questionner des processus de mutation, d’altération du sujet. En ce sens, la création paraît entrée en résistance depuis quelques années en ne cessant d’affirmer, face à la multiplication des discours réducteurs et réactionnaires, que le Propre est cousu d’étrangetés. Dans l’entretien qu’ont accordé les artistes Lucie Eidenbenz et Luce Goutelle à Smaranda Olcèse-Trifan, il est ainsi question du carnaval comme d’une démarche visant à rendre les participants « étrangers à eux-mêmes » et de la possibilité qu’offre la danse de « se mettre à l’épreuve de l’autre ». Les films (Marco) d’Aminatou Echard et La vie de château de Frédérique Devillez, abordés dans le cadre d’un article, d’un entretien filmé et du séminaire Cinéma / Parole au Collège des Bernardins, rendent compte, quant à eux, de situations douloureuses d’exil, de clandestinité, d’existence sans identité. Et c’est encore à une autre forme d’altérité que nous confronte Michel ou 9 jours dans la vie d’un HO de Blaise Othnin-Girard, donnant la parole à un homme enfermé pour folie, dans la folie, pour nous rappeler, comme l’écrit si justement Jérôme Alexandre, que « notre vraie demeure a toujours été ailleurs ».

Aller voir des spectacles, des expositions, des films, entretenir son propre trouble, son propre mouvement est la seule façon d’échapper au conflit des « je suis ». Il est urgent d’affirmer une singularité plurielle, dynamique, d’opposer au « je suis » un « je deviens » de tous les instants. C’est à ce travail que nous vous invitons en vous rendant à l’un des événements recensés dans l’agenda, en nous rejoignant dimanche prochain au Collège des Bernardins pour découvrir les films de Daphné Hérétakis ou en visitant le site de la websérie Laval Serial ! récemment mis en ligne. Inscrivez-vous à notre newsletter, désormais active, afin de ne rien manquer de nos activités et de nos publications, en attendant de pouvoir lire le deuxième numéro de notre revue papier, les Cahiers d’À bras le corps, dont la sortie est prévue fin mars.

Meilleurs vœux à tous pour cette année 2015 et à très bientôt !


[1] Pierre-Damien Huyghe, Du Commun. Philosophie pour la peinture et le cinéma, p. 35.

 


| Auteur : Damien Marguet

Publié le 20/01/2015