Renversements 1 & 2 d'Erik Bullot

Les figures du renversement sont diverses, et permettent de penser le cinéma dans des directions variées. Conçus comme des collections d'articles préexistants, les deux volumes publiés sous le titre Renversements aux éditions Paris Experimental permettent à Erik Bullot de tracer un itinéraire frappant par sa cohérence et par le spectre qu'il embrasse à travers l'histoire des formes en mouvement.

S'il est essentiellement question du cinéma et de ses puissances, à la fois plastiques et sonores, Erik Bullot se plait à faire des détours et incursions par la littérature — en s'intéressant notamment à l'oeuvre d'Arno Schmidt — ou à la photographie, espaces qui engagent des pratiques qui permettent de toute évidence de renverser, sinon le cinéma lui-même, du moins la pensée que nous en avons. Les renversements dont il est questions relèvent donc tout autant du bouleversement spatial (chez Buster Keaton notamment, dont il est souvent question) que temporel (chez David Lynch par exemple). Nous avons de fréquents aperçus de ce désordre introduit par le cinéma dans la temporalité dans de nombreux films commerciaux, pétris de récits qui s'initient dans des situations post-mortem et se développent à partir d'elles.

Parler des renversements du cinéma implique également de penser ce que celui-ci devient. Aussi, il est nécessaire de dire quelque chose des nouvelles technologies, et plus singulièrement de nos appareils domestiques qui, au titre d'une communication élargie à différents médias, concentrent en un seul et même objet plusieurs fonctions — appeler, écrire, enregistrer images et sons — et peuvent dès-lors servir à la fabrication d'images en mouvement. L'évocation par Erik Bullot de son expérience du film de poche montre ce qu'il y a d'inédit dans cette manière de faire des images, et conséquemment du cinéma, avec un téléphone portable. Au-delà de la facilité de tournage, et pour cause, que le téléphone apporte avec lui par sa légèreté ou la façon qu'il a d'autoriser les uns à filmer les autres à leur insu, ce qu'il y a de proprement nouveau et renversant dans l'usage des capteurs de poche, c'est que par eux, filmer devient une action conjointe de la vue et du toucher. En s'appuyant sur son expérience personnelle, mais aussi sur celle d'autres cinéastes, comme Arnold Pasquier, Erik Bullot montre ainsi comment le cinéma, sur les traces de Raymond Roussel, relève de plus en plus du tourisme, qui consiste à voyager certes, mais également à faire le tour, d'un lieu, d'une ville, d'une situation.

Le cinéma est considéré dans toutes ses possibilités : art visuel et sonore, lieu d'une captation de formes invisibles qui s'attestent dans des pièces radiophoniques (les soucoupes volantes comme figures du trompe l'œil ou les manifestations paranormales dans des films de genre comme L'exorciste), mise en œuvre d'une plasticité éruptive ou d'une pratique du camouflage, ou pure saisie de la foudre dans les photogrammes brulés de Brakhage, Erik Bullot met son érudition au service d'une circulation de la pensée à travers les formes cinématographiques, et montre ainsi comment chaque pratique peut en droit, et quel que soit son aura et son ambition artistiques, engager le médium tout entier et le remuer de fond en comble, au risque de le renverser.

Renversements 1, Editions Paris Expérimental, Paris, 2009 - 20 €
Renversements 2, Editions Paris Expérimental, Paris, 2013 - 20 €


| Auteur : Rodolphe Olcèse
| Artiste(s) : Erik Bullot
| Lieu(x) & Co : Paris Expérimental

Publié le 12/11/2013