The Stanley Parable de Davey Wreden et William Pugh

Vous incarnez Stanley, un employé de bureau. Vous remarquez très vite que le bâtiment dans lequel vous travaillez est curieusement vide. Soudain, une voix s’apparentant à celle d’un narrateur se fait entendre. Elle vous invite à éclaircir ce mystère.

The Stanley Parable est un walking simulator dans lequel le joueur incarne un employé de bureau qui se retrouve seul dans le bâtiment. La narration du jeu vise à conduire le joueur à travers les différentes pièces de l’immeuble afin de trouver une réponse à la disparition du personnel. La voix du narrateur nous guide à travers les lieux. Cependant il est donné la possibilité au joueur de ne pas suivre les consignes et directions qui lui sont données.

Là où la littérature propose des livres contant une histoire non linéaire, notamment les livres dont vous êtes le héros, le monde de l’image en mouvement, et plus précisément celui du jeu vidéo, propose des histoires ayant la particularité d’avoir plusieurs embranchement dans leur narration, rendant ainsi le scénario malléable.

Le médium du jeu vidéo est une matière « vivante ». Bien qu’il soit codé, programmé, ce qui implique que la ou les narrations sont déjà écrites, entre autres éléments qui le composent, les moteurs de jeu, notamment ceux utilisant un espace tridimensionnel, utilisent une technologie de calcul en temps réel. C’est grâce à ceci que le joueur peut déplacer son avatar dans les directions qu’il souhaite. Mais cela ne se limite pas uniquement aux déplacements. Dans beaucoup de jeux, le joueur est libre d’utiliser différents types d’objets et/ou d’effectuer différents types d’actions face à une action ,un problème, une situation afin de la résoudre et avancer dans l’histoire. De ce fait, même s’il est codé et donc écrit, le jeu vidéo garde en lui une grande part d’inconnu puisque chaque joueur a sa manière de l’appréhender. Cette liberté permet de renforcer l’immersion du joueur car il a le choix. La narration dont il fait l’expérience lui est alors personnelle. En se projetant dans son avatar, la dimension scénaristique est encore plus englobante et impactante, car le personnage de l’histoire réagit selon le tempérament du joueur.

Dans The Stanley Parable, le joueur a la possibilité, non pas de choisir quel objet il va utiliser, mais de décider ce qu’il va faire de la narration qui lui est proposée. En effet le joueur est libre de respecter ou non les indications données par le narrateur. S’il choisit d’agir comme le dit la voix off alors le joueur suit une histoire linéaire. Quand le narrateur dit que Stanley prend la porte de gauche en direction de la salle de conférence, le joueur se trouve au même moment dans une pièce comportant deux portes. Il est libre de choisir la porte qu’il veut prendre. Soit il suit la consigne, soit il s’en écarte. S’il choisit la deuxième solution, le narrateur s’adapte immédiatement en brisant, implicitement ou explicitement, le quatrième mur, dans le but de ramener le joueur dans le chemin prévu initialement. Le narrateur fait comprendre au joueur qu’il est très attaché à l’histoire qu’il raconte et le prie gentiment de la respecter. Or le level design du jeu fait en sorte que le joueur ait le choix de suivre ou non le narrateur. Il peut donc prendre le chemin opposé, revenir sur ses pas et même s’arrêter. Quand le joueur finit le jeu et qu’il le recommence, le programme se souvient de la précédente partie. Le narrateur réadapte son discours et l’environnement aux choix mis en œuvre dans la précédente partie. Commence alors un jeu entre le narrateur et le joueur. Le premier tente d’orienter le joueur dans sa direction en mettant en évidence et de manière grossière le chemin à suivre, tandis que le second, qui dans une sorte de perversion, joue avec les nerfs du narrateur en lui désobéissant.

The Stanley Parable met en perspective cette notion de narration. Le joueur est en relation directe avec le narrateur, il n’est même en relation qu’avec lui, puisqu’il n’y a pas d’autres personnages. De ce fait il est en mesure de jouer avec la narration. Il peut la rallonger, la déstructurer, l’éclater, la transformant ainsi en une matière mouvante. En restant dans le champ de l’image en mouvement, la narration est un élément qui structure une histoire et n’est pas modifiable. Le spectateur qui en fait l’expérience doit accueillir le récit. L’histoire commence au point « A » et se finit au point « B ». Or dans ce jeu, l’histoire commence bel et bien au point « A » mais se finit au point « X » et sans forcément suivre l’ordre la logique alphabétique qui associe ces termes. C’est-à-dire qu’une fois arrivé au bout du jeu, le joueur n’a pas forcément achevé l’histoire mais ne peut pas non plus la recommencer de manière transparente, car le jeu s’adapte à l’historique du jour et se dévoile plus ou moins différemment. Ce détail permet au joueur d’expérimenter, de vivre de multiples « fins » sans qu’il n’y ait forcément de point final. Par son expérience, le joueur est libre d’interpréter les évènements qu’il génère et donc de choisir, de construire sa propre fin.

Ce jeu, à travers sa construction, nous permet d’établir une relation singulière avec le narrateur. Une sensation de liberté apparait au fil de la ou des parties. Nous jouons au jeu mais nous jouons aussi avec son histoire. Nous pouvons nous déplacer et suivre notre propre chemin au détriment de celui du narrateur. Là où dans un jeu vidéo plus traditionnel nous ne pouvons pas ou très peu intervenir sur le scénario, ici nous pouvons, en pleine expérience, choisir de le modifier selon nos envies et nos pulsions.

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The Stanley Parable, Davey Wreden, William Pugh (Concepteurs et Développeurs), 2011, Microsoft Windows, Linux, macOS


| Auteur : Louis Balducci

Publié le 10/05/2021