Cinéma / Parole #19. Introduction aux films de Jean-Pierre Bertrand

Je voudrais commencer avec le film 28 à 2 ans avant l’an 2000  pour d’emblée installer le drame. Le drame qui est le théâtre de notre imagination, vu que nous sommes tous des acteurs à part entière du drame qui se joue.

Le drame (ou la farce) du temps passé, de celui qui impassible, assis sur une chaise, parce qu’il ne voit (plus) rien, très peu, regarde vers le haut et tend comme l’oreille.

Celui qui lève la tête pour entendre ce qui ne s’entend pas si bas.

Il me rappelle, dans sa posture physique, cet écrivain dans « première neige sur le mont Fuji » de Kawabata, qui n’écrit plus rien, sa langue ne lui obéit plus et sa main droite est paralysée. Comme sa main gauche réagit encore, il pourrait communiquer ou du moins transmettre ses intentions, ce qui lui permettrait de s’exprimer, pour ainsi dire d’écrire. D’une certaine manière en tout cas. Kawabata demande : « quelle est la force de ce silence ? Car si l’on se tait, alors les autres parlent pour vous. Même les choses parlent pour vous. ». C’est ce qui se passe au moment même où nous voyons l’image de Borges dans le film de Jean-Pierre Bertrand.

Lorsque le narrateur lui parle, le silence est son interlocuteur.

Nous voulons montrer ce film pour installer « l’affaire ».

Ce n’est que la continuation de ce qui est loin d’être à l’arrêt.

- passing trough

Un pont qu’on ne traverse jamais. De manière contradictoire, la traversée interminable. UN-ENDLICH en allemand. Le non-enfin, ou le non en fin. Plus simplement, sans fin. Nous sommes toujours en face du sujet. Devant lui, avec un regard en arrière.

- balance ball

La mise en place d’une fiction. La balle rebondit, on ne sait pas où, ni pourquoi. L’histoire de cette balle est agencée.

- samout moutnefret

- time removing

- playing dice

- le chanteur

Nous entrons dans sa bouche. Nous nous installons à l’arrière de ses dents.

C’est absurde.

Nous ne pouvons entendre le chant, caché par l’image.

- outside

La sortie impossible. Vue intérieure.

Fenêtre ouverte, aller-retour, dehors-dedans.

C’est à l’extérieur que ça se passe, mais c’est à l’intérieur qu’on le sait.

C’est-à-dire dans ce qui est du domaine intime.

Nous devons terminer par crime.

le cinéma est intrigue. Le crime est partout. Dans l’ensemble des choses. Toujours là. Il surgit.

Nous savons sa présence, mais nous pensons ne pas en faire partie.

Ce qu’on ne connaît pas est à voir.

Ça nous regarde mais on ne sait pas ce que c’est.

Il faut en finir. Finir avec. S’en aller aussi.

Les films c’est comme la vie d’un homme (au sens générique du terme), ça avance. It move’s on, comme on dit en anglais = ça bouge en avançant.

Par contre en zig-zag, emplis de souvenirs.

Comme dit John Dewey dans Reconstruction en philosophie : l’homme préserve ses expériences passées. (…) ce qui a eu lieu dans le passé est vécu à nouveau dans le souvenir. L’homme est un être de mémoire ; il conserve et préserve ses expériences. On se souvient naturellement de ce qui nous intéresse, et parce que ça nous intéresse.

Nous avons voulu accentuer cela en faisant des aller-retour, pour ce qui des dates dans laquelle les films ont été faits, marqués par les moyens techniques de leur époque.

C’est comme dans le disque It’s time de Max Roach avec Abbey Lincoln. Lorsqu’elle a fini de chanter, il (M.R.) jaillit, se révèle brusquement de manière décidée et ferme.

Il marque férocement son temps d’entrée.


| Auteur : Pierre Weiss

Publié le 25/10/2015