Jeux sérieux

Placés sous les signes conjoints de Michel de Montaigne et de Theodor W. Adorno, les textes rassemblés dans Jeu sérieux, Cinéma et art contemporains transforment l'essai interrogent les figures multiples et mobiles que peut prendre l'essai, littéraire ou cinématographique, qui a en propre de se réinventer constamment, à chaque fois qu'il est mis en oeuvre, parce qu'il est une forme précisément. 

Cette collection de textes, ouverte par une conversation avec Jean Starobinski, interroge donc ce qu'il en est de la pratique de l'essai considéré à la fois et souvent dans un même mouvement dans le registre de l'écriture philosophique ou littéraire et dans celui de l'image animée, embrassée largement, c'est-à-dire aussi bien du point de vue du cinéma que de l'art vidéo, de la salle donc que du musée. Ainsi, Michel de Montaigne et Theodor W. Ardono (1) donc, mais aussi Walter Benjamin, Robert Musil, Jean-Jacques Rousseau, etc. dialoguent avec Chris Marker et Jean-Luc Godard, souvent évoqués comme les praticiens exemplaires de l'essai cinématographique, ou encore Arnaud Des Pallières, Tariq Teguia et tant d'autres cinéastes importants pour lesquels le cinéma est une recherche, une expérimentation qui jamais ne peut s'arrêter sur l'une ou l'autre de ses trouvailles, mais doit au contraire se saisir de ses propres résultats pour continuer de chercher toujours. A noter également, un texte de Nicole Brenez consacré à Marcel Hannoun, cinéaste et auteur d'un recueil de textes brefs et saisissants — Cinéma cinéaste, publié chez Yellow Now — et qui permet de nourrir une pensée de la libération à partir de la pratique filmique.

Le deuxième trait remarquable de ce volume est assurément que les études rassemblées ici sont ponctuées d'analyses critiques, courtes et focalisées sur des oeuvres particulières, ce qui est une manière de rappeler que la pensée du cinéma en général, et de l'essai en particulier, ne peut faire l'économie d'une fréquentation directe des films et des pratiques. Il n'y a pas de structure ou de détermination a priori de l'essai, qui s'imposerait extérieurement à des films dont il pourrait guider le déploiement. Bien au contraire, chaque cinéaste doit redécouvrir l'essai intégralement pour lui-même, à chaque film, et ce n'est du reste que par ce chemin qu'il peut enrichir la compréhension que nous pouvons en avoir. Car il n'y a que par l'essai que l'essai peut se donner à penser. Tenter de dire ce qu'il en est de l'essai, c'est, d'une manière ou d'une autre, le mettre en oeuvre et le découvrir par ses actes. Il est donc nécessaire et déterminant de se tourner vers ce que peuvent produire les gestes mêmes des essais cinématographiques, et de pouvoir les considérer pour eux-mêmes et en eux-mêmes. Yervant Gianikian et Angela Ricci Lucchi (2), Noël Pujol, Pierre Créton et plusieurs autres produisent l'essai et donc le donnent à penser à travers leurs films, ce qu'une écriture critique, soucieuse de faire apparaître les opérations qu'ils mettent en œuvre, doit mettre en évidence dans un mouvement de reprise et de relance. Ce qui est fixer in fine un sens beau et noble à la critique cinématographique, à qui il appartient aussi, chemin faisant, de transformer l'essai.

Jeu sérieux, Cinéma et art contemporains transforment l'essai, sous la direction de Bertrand Bacqué, Cyril Neyrat, Clara Schulmann et Véronique Terrier Hermann, HEAD / Mamco, 2015 - 28 €

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(1) Dont le texte L'essai comme forme a présidé à l'appel à contributions de la manifestation Start making sense ! Cinéma et art contemporain transforment l'essai organisée en mars 2013 à la HEAD à Genève et dont le présent volume se donne comme la restitution.

(2) Auxquels le Centre Pompidou consacre une rétrospective qui s'ouvre ces jours-ci dans le cadre du festival d'automne.


| Auteur : Rodolphe Olcèse
| Lieu(x) & Co : Mamco

Publié le 26/09/2015