L'urgence de l'art de Bernard Marcadé et Jérôme Alexandre

Jérôme Alexandre et Bernard Marcadé ont initié un échange épistolaire pour dire L'urgence de l'art. Son urgence, c'est-à-dire à la fois sa nécessité et l'immédiateté de son inscription dans le réel. Chacun selon ses compétences  et selon ses aspirations — l'un est théologien, l'autre historien d'art —, les deux auteurs soulignent l'importance qu'il y a de comprendre l'art dans sa relation au présent tout en affirmant la totale indépendance des grands gestes qu'il engendre eut égard au contexte qui les voit naître. Plusieurs thèmes affleurent, qui tous sont l'occasion de souligner que la création artistique, pour inutile et apparemment décalée qu'elle puisse être, est le lieu d'une compréhension du monde et où peuvent être affrontées les grandes interrogations humaines, mais selon une modalité, l'échange y revient souvent, résolument incarnée. 

Dans les propos partagés, un nom revient souvent. Marcel Duchamp, sur lequel Bernard Marcadé a beaucoup travaillé, semble la figure exemplaire d'un sens de l'art tourné vers le monde mais détaché des grandes idéologies, et capable de manifester les dimensions d'inactualité, de déprise, de style qui, soulignent les deux auteurs, caractérisent cette possibilité d'existence qu'est en soi la création artistique, et qu'en droit nous pouvons tous actualiser dans nos vies. 

C'est en tout cas ce à quoi nous sommes appelés, nous, mais aussi le monde dans lequel nous vivons, si nous voulons choisir la vie plutôt que céder aux puissances mortifères qui menacent de toutes parts, et dont chacun doit supporter les effets dans son existence singulière. "Le salut du monde est dans sa poétisation. Là est la seule ouverture possible, la seule issue. Mais n'oublions rien de ce que nous nous sommes dit dans notre entretien : la vie, pas plus que l'art ne sont absolus, des entités figées et pures, des valeurs. La vie, décidément, se tient dans la chair et dans le temps marqués de finitude, de désir inassouvi et de mouvement. Nous les habitons dans la maladresse, dans l'égoïsme, dans la bêtise et dans l'impureté. Nous avons les mains sales et les idées courtes. Il parait que Dieu s'en arrange" (p.81). 

Cette urgence que le texte cherche à souligner, elle est bien, dans cette chair qui nous ordonne au monde, pour le meilleur et pour le pire, de signaler des dimensions plus hautes de vivre et de penser, que nos préoccupations quotidiennes occultent le plus souvent.

L'urgence de l'art,  Bernard Marcadé et Jérôme Alexandre, avec une postface d'Alain Cugno, Parole & Silence (Collège des Bernardins) 2015 - 11 €


| Auteur : Rodolphe Olcèse
| Lieu(x) & Co : Collège des Bernardins

Publié le 14/03/2015