Cinéma / Parole #1. Damien Marguet

Pays sans nom de Damien Marguet, film qui ne se destinait pas à être montré en projection, se situe à la croisée de plusieurs pratiques. Damien Marguet, se considère, non pas comme un artiste, mais comme un chercheur. Il veut prêter attention, dans ses travaux, aux procès plutôt qu'aux structures. Le cinéma peut-être compris dans sa dimension performative : que fait le cinéma et que permet-il en termes de rencontres et d'actes ?

Pays sans nom est la trace d'une performance passée, avec la part d'accidentel que cela comprend, dont l'enjeu était de faire l'expérience de la fabrication d'un film en direct, et dans l'idée de provoquer une situation où son élaboration puisse échapper à la maîtrise de la réalisation. Le montage image et quelques sons existaient préalablement au projet, mais la musique a été composée pour être jouée sur ce montage. Le film est un état du projet parmi d'autres possibles, comme, par exemple, la restitution sur une page Internet de divers matériaux ayant servi à la préparation de la performance (Pays sans nom). Cette trace met en évidence qu'il n'y a pas d'original, qu'il y a d'emblée une division de l'origine. Ainsi, la voix off propose différents stades de lecture, sans en choisir un en particulier, et manifeste comment leur mise en relation peut produire quelque chose.

Même si, selon l'endroit où se place celui qui fabrique l’objet, l'accent peut être mis sur le moment (le film, c'est la performance) ou sur ce que ce moment produit (un alliage d’images et de sons conçus selon des contraintes spécifiques), le film, comme résultat de la performance, échappe à son auteur, et acquiert une existence autonome. À sa manière, Pays sans nom met en évidence que tout film est la trace de quelque chose qui l'aura excédé. Le cinéma nous intéresse dans la mesure où il fait signe vers un processus vivant, dont les formes instables traversent les différents supports mobilisés par et pour la création.

En un sens, avec Pays sans nom, tout part de l'image. Comment une image apparait-elle ? Comment une image unique peut-elle rendre possible toutes les images, toutes les histoires ? Le dispositif s'origine dans l'image, même si dans le résultat, elle vient avec une latence, alors que nous faisons déjà une expérience sonore du film. Pays sans nom cherche à retrouver ou à comprendre une instabilité de l'image, et une incertitude sur le moment de son apparition. À quel moment est-elle venue s’inscrire sur l’écran ? Le film propose ainsi l'expérience d'un retard dans l'image et provoque le sentiment, pour celui qui regarde, d'avoir raté quelque chose. C'est important car cela permet de penser le mouvement de l'image, celle-ci fut-elle composée d'images fixes, de mettre du mouvement dans l'image, alors que le plus souvent, les chercheurs commencent par fixer les images pour penser le cinéma.

Dans cette mesure, Pays sans nom peut sembler relever davantage de la reconstitution que de la trace. Si les modalités de réalisation ouvrent sur l'accidentel et l'instabilité, la décision pour ce mode de fabrication, elle, est très précise. Comme si l'esquisse était la seule forme possible, ou contenait l'essentiel de ce qu'une forme peut porter ou proposer. S'il y a effectivement quelque chose de très construit dans la proposition, ce film est la tentative toujours échouée de déconstruire et de rejouer ce mouvement d'apparition de l'image à partir du blanc du polaroïd, cette blancheur qui, narrativement peut faire signe vers un brouillard — le récit lu en voix off y invite — ou être comprise comme moment d'initialisation, premier mouvement à partir duquel tout est possible, tout peut commencer, et toutes les histoires se raconter. 

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Compte rendu du séminaire Cinéma / Parole du 16 février 2014.


| Auteur : Rodolphe Olcèse
| Artiste(s) : Damien Marguet
| Lieu(x) & Co : Collège des Bernardins

Publié le 22/02/2014