Discours tombés des rushes de François Barat

Les lieux du cinéma sont pluriels, et les pratiques qu'il peut engager le sont également, la première étant  peut-être l'écriture littéraire. Le livre de François Barat interroge à plusieurs nvieaux les liens qu'entretiennent le film et l'écriture, en partant du constat simple, emprunté à Jean-Luc Godard, selon lequel écrire, pour les cinéastes, et encore une manière de faire du cinéma : "Au temps béni des évangiles selon Godard, il disait (en ce temps là, donc !) qu'écrire était pour les cinéastes une certaine manière de faire des films, écrire du cinéma, c'était selon Godard faire aussi une sorte de cinéma" (p.109).

Il y a de nombreuses façons d'écrire pour le cinéma. On sait que le système de financement des films, depuis de nombreuses années, pose le scénario comme moment déterminant, et le seul malheureusement, d'appréhension de la forme possible d'un film, ce qui est douloureux pour bien des auteurs. François Barat rappelle dans son ouvrage que le scénario est un objet hybride, à la fois outil technique et objet littéraire à part entière. Il est regrettable sans doute que les films les mieux écrits, qui mettent en oeuvre donc une forme littéraire véritable, soient rarement les mieux accueillis dans les commissions de soutien au cinéma. Mais faut-il s'en désespérer ? Car si le scénario est aussi un objet littéraire, il peut nous donner quelque chose du film indépendamment des aventures et mésaventures de sa fabrication. Marguerite Duras, dont François Barat a produit plusieurs films occupe dans l'ouvrage une place singulière. C'est qu'elle illustre parfaitement cette circularité entre écriture et mise en images, jusqu'à la mettre en scène, dans Le camion, ou le film est la lecture du scénario du film, en même temps que l'amorce de sa mise en image. Marguerite Duras a ouvert pour les cinéastes qui lui succèderont des voies rarement explorées, où le film peut et doit puiser dans l'exigence littéraire de l'écriture, et finalement la révéler.

Conjointement à des textes d'humeurs critiques sur les films, Discours tombés des rushes propose également, et on comprend maintenant pourquoi, plusieurs courts textes, qui prennent la forme de nouvelles, de petites mises en scène où se mêlent fiction et documentaire. Comme des descriptions d'images et de plans. C'est une manière pour François Barat de donner corps au cinéma, qui peut devenir, quand il nous tombe dessus, l'affaire de toute une vie, et de mettre en acte cette réflexion faite à l'occasion de Salo de Pasolini : "Psolini a démontré que le septième art n'existait pas et que la beauté du cinéma réside dans la convergence des pratiques artistiques, que la chair du cinéma se constitue d'autres corps, les uns dans les autres, les uns avec les autres, les uns contre les autres" (p.62). Ecrire, non plus en vue du film à faire, mais à partir d'images existantes, c'est une manière d'incarner à nouveau le cinéma. Y a-t-il une plus belle définition possible de la critique ? Mais la question qui se pose est également celle de savoir quel corps la critique contemporaine donne au cinéma. François Barat le suggère à plusieurs reprises, à méconnaître complètement ce qui peut s'inventer dans les marges de la production commerciale, marges où l'efficacité technique importe moins que le témoignage d'une aventure qui nous implique totalement, la critique est devenue exsangue.

Les textes publiés dans le recueil couvrent une période de trente années. François Barat revient sur ses expériences de producteur, mais aussi de réalisateur. Pendant toute cette période, l'idée d'une caméra stylo, et donc de la possibilité d'écrire directement à l'encre du cinéma, est passée de la possibilité à la réalité. Un texte évoque cette chance que nous avons de pouvoir filmer à tout moment et mettre notre intimité dans les images que nous faisons : filmer nos lieux, nos proches, donner corps à notre vie et à la leur. C'est une évolution importante, qui rencontre quelque chose de ce que Marguerite Duras n'a cessé de nous adresser : penser d'un film qu'il peut ne rien coûter, ou fort peu, et placer sa nécessité dans le seul mouvement de sa réalisation, dont les chemins sont multiples, et parfois nous font aller en toute liberté.

Discours tombés des rushes, Editions Manucius, Paris, 2013 - 13,2 €


| Auteur : Rodolphe Olcèse

Publié le 14/12/2013