Éditorial
Passer les frontières

L’art, ce qu’on nomme ainsi, ce qu’on vise à travers ce mot – ce talisman – tient toujours du déplacement. L’œuvre qui est là me porte ailleurs, elle est ici et là. Ce peut être un transport, un voyage imaginaire, ou bien un déchirement, une division, une ouverture. Je ne me perçois plus alors seulement comme entité, identité, mais aussi comme mouvement, tensions… Ce qui est loin, ce qui m’est étranger soudain me touche et me saisit. Je me l’approprie. Événement, possibilité considérable que celle de se transformer, dont l’art est peut-être le nom.

Les pièces, films, manifestations dont il est question cet automne sur notre site traitent souvent directement de cette question du passage d’un état, d’un territoire à un autre, incitant à aller voir ailleurs et au-delà (des représentations notamment). C’est le cas de Frontières, dernier film de Rodolphe Olcèse, récit (poème ?) de voyage jusqu’à un vrai lieu de cinéma, les Rencontres Cinématographiques de Cerbère-Portbou, situé comme il se doit à l’un des bouts du monde. C’est du Canada que Clément Postec nous envoie ses notes sur Go Forth de Soufiane Adel, vu au Festival du Nouveau Cinéma de Montréal. Une histoire d’exils, de souvenirs enfouis, de liens à reconstruire des banlieues aux colonies françaises. Bijan Anquetil, rencontré pour un entretien filmé dans le cadre de notre partenariat avec Le Mois du Film Documentaire, a voulu, lui, restituer les paroles et les gestes d’hommes que la violence et la misère contraignent à la fuite et à l’errance. La Nuit remue nous montre comment on traverse une nuit noire, grâce à la chaleur du feu de camp qui est aussi celle des mots et des images échangés, celle que procure l’amitié. Tenir une caméra, c’est pour lui une manière d’être là, de se faire une place autour du feu, parmi ceux qui nous sont étrangers et dont nous sommes pourtant si proches. Il arrive d’ailleurs à l’inverse qu’on se sente étranger en son propre pays. C’est un peu ce que raconte Demande à ton ombre, film de Lamine Ammar-Khodja, qui nous a lui aussi parlé de sa démarche lors d’un récent entretien. Comment revient-on « chez soi » ? Celui qui se sent étranger n’est-il pas celui qui voit le mieux les choses ? Autant de questions posées par ce documentaire qui témoigne, une fois n’est pas coutume, d’une révolution qui n’advient pas. Aussi les transformations ne sont-elles pas toujours affaire de rupture, mais de glissements souterrains, de situations dont la teneur échappe aux instances de contrôle, comme le montre le dernier film de Marie Voignier, Tourisme international, à découvrir à travers un article et une interview. Et c’est peut-être à ces mouvements intérieurs, à l’idée qu’une situation, qu’une épreuve peuvent faire plus et mieux qu’un discours, que l’art contemporain se montre le plus attentif. Live of performers, nouvelle exposition du centre d’art de La Ferme du Buisson consacrée au travail de la chorégraphe et cinéaste américaine Yvonne Rainer, démontre ainsi l’influence des recherches performatives menées dans les années 60 et 70 dans les champs de la danse et du cinéma sur la création contemporaine.

D’autres expériences, d’autres passages sont à découvrir et à refaire dans les pages web tv et magazine de ce site. Et pour une confrontation directe, nous vous invitons à la projection qu’organise À bras le corps le dimanche 16 novembre à 14H00 au Collège des Bernardins de Michel ou 9 jours dans la vie d’un HO de Blaise Othnin-Girard, dont nous avons déjà parlé ici-même. Une newsletter (elle arrive bientôt, c’est promis, alors inscrivez-vous !), un espace éditions seront prochainement créés afin de mieux communiquer sur nos activités et productions, À bras le corps se veut donc un site en perpétuel mouvement. Internet est-il véritablement un espace sans frontière ? Réponse au prochain édito…


| Auteur : Damien Marguet

Publié le 03/11/2014