Éditorial
A bras le corps

La création artistique est une lutte. Et lutte également notre relation aux œuvres de l'art, quand elles nous engagent, pour qu'elles nous engagent au plus intime de nous-même. Les œuvres sont données à notre sensibilité, mais celle-ci ne peut les recevoir de manière fécondante, en permettant au sens qui se trame dans cette rencontre à chaque fois singulière entre une forme et un regard qui s'informe, de se déployer, sans vaincre cette puissance d'inertie qui nivelle et indifférencie toutes figures et toutes images pour que nous puissions les recevoir sans heurts ni fracas, c'est-à-dire sans nous laisser questionner par elles.

La critique est une langue qui doit dire d'une œuvre - film, installation, performance, etc - ce qu'elle est et ce qu'elle n'est pas, ce qu'elle cache et ce qu'elle montre, parfois en un seul et même geste. Comme telle, elle doit mettre en évidence le relief, les aspérités, les brèches et les saillies, pour que nous puissions avancer dans ce territoire toujours à découvrir de la création contemporaine. La critique montre ce que le chemin a d'impraticable, pour que nous puissions, comme en montagne, y tracer une voie.

A bras le corps est une proposition éditoriale qui ne veut pas se limiter à un domaine particulier de la création. Les formes circulent et c'est en franchissant les limites qu'elles peuvent montrer ce qu'elles ont en propre. Il y a tant de films qui ne cherchent rien, ne posent nulle question, et ne souhaitent produire rien autre chose qu'un vague et plus ou moins subtile moment de détente. Nous voulons prêter attention à des objets qui ne savent pas où ils vont, mais qui, dans cette méconnaissance même, et grâce à elle, font bouger les lignes et les donnent ainsi à voir. Une impression ratée peut laisser une trace plus profonde, plus singulière, qu'un cliché qui ne dit pas son nom et veut cacher d'où il nous vient.

A bras le corps s'intéressera prioritairement à l'image en mouvement. Cette dernière est partout aujourd'hui, et s'introduit dans le plus secret de notre vie. Souvent vide de sens et sans ampleur véritable, elle peut parfois jeter une lumière sur notre existence. Le fait est qu'il n'y a pas aujourd'hui d'espace artistique qui ne soit, d'une manière ou d'une autre, habité par la nécessité de dire par l'image quelque chose de notre présence au monde. Essayons, par une reprise critique, de prendre la mesure de ce qui peut s'y énoncer. 


| Auteur : Rodolphe Olcèse

Publié le 15/10/2013