Éditorial
Archives du corps contemporain

Les lieux de manifestation du corps sont pluriels, et pour ainsi dire inépuisables. Tout espace où notre regard peut frayer un chemin est, d'une manière ou d'une autre, distribué par des corps, pour des corps, ne serait-ce que le nôtre, qui doit y trouver une place pour que nos yeux puissent se poser sur les formes qui s'y trouvent.

Il est beaucoup question de films dans ces pages, ce qui s'explique avec une certaine évidence. Le cinéma ne sait pas faire autre chose que filmer des corps. Sous le titre de la pellicule, qui a longtemps été son support de matérialisation, et qui continue, n'en déplaise à l'industrie, de déterminer certaines de ses possibilités fondamentales, le film est également une enveloppe, une peau pour un corps mouvant dont les images dessinent le déploiement. Le cinéma et l'art vidéo recueillent les traces laissées par les corps dans un monde où la caméra elle-même doit se glisser et se mouvoir pour produire ses images. 

L'image en mouvement trouve aujourd'hui des chemins singuliers plus en plus aisés à mobiliser, y compris dans le champ de la création, pour constituer quelque chose comme des archives du corps contemporain, ce qui est l'un des motifs de notre revue. L'expression peut sembler étrange, et à première vue contradictoire. Mais il ne faut pas oublier que l'arche en grec, avant de signifier le lointain principe d'une chose ou d'une être, désigne son commencement, le moment où elle aura balbutié ses premiers mots. Archiver une chose n'est pas nécessairement l'envoyer dans les espaces figés de la documentation. Cela implique au contraire un préalable, qui est de prêter son attention à ce qu'il y a de vivant en elle, de naissant, d'émergent. Il faut commencer par comprendre en quoi avec elle quelque chose commence. 

C'est la raison pour laquelle l'espace de la scène est important dans notre démarche éditoriale. Les gestes y sont donnés une fois pour toutes, et pour saisir quelque chose des traces qu'ils laissent dans le monde et des images qu'ils y dessinent, il faut leur être présent, venir à la rencontre de leur temporalité, avant même de savoir s'ils peuvent faire époque. Et qu'importe, faut-il ajouter, leur potentielle pérennité, il faut et il suffit qu'ils nous aient touchés pour que nous soyons en mesure — et en nécessité — de documenter l'éclat qu'ils auront produit en nous traversant.


| Auteur : Rodolphe Olcèse

Publié le 07/12/2013