FIasco - Entretien avec Rodolphe Cobetto Caravanes

FIASCO est une formation musicale et cinématographique mise en place par Rodolphe Cobetto-Cavanes, qui évoque, dans cet entretien, les premiers projets du groupe, son amour du super 8, et la prochaine performance qui sera donnée le 23 novembre dans le cadre du festival BBmix (Boulogne-Billancourt).

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ABLC : Radio City One est la première tentative de FIASCO d'une expérience performative, qui a en même temps une dimension narrative très affirmée, même si ses tenants et aboutissants restent parfois elliptiques ou inaccessibles. Vous vous êtes d'emblée dits que vous alliez faire un film joué ?  Est-ce en en cours de réalisation du film que cette forme là s'est imposée à vous ?

Rodolphe Cobetto-Caravanes : Le groupe FIASCO, que nous avons fondé avec Frédéric Lemaître, est né avec un projet de film. Frédéric m'a proposé de faire un groupe de rock qui ferait aussi des images. On est parti assez rapidement sur Radio City One. On a commencé à jouer en octobre 2003 et en décembre de la même année, on a commencé à tourner les premières images. On n'avait pas d'idées préconçues, on voulait vraiment faire un work in progress. On voulait que la musique qu'on joue influence les images, et que ces images une fois développées agissent en retour sur la musique. Cela a duré très longtemps. Le tournage a duré 4 ans, entre New York et Paris, San Francisco aussi, où on a tourné des raccords avec mon épouse, qui a fait la doublure de certaines actrices, dans la nuit. Tout est tourné en Super-8 noir et blanc + X, pour avoir une égalité de traitement de l'image, que ce soit New York, Paris ou San Francisco, il ne fallait pas qu'on sache où l'action se passait. Ce qui nous intéressait avec Frédéric, c'est que la ville soit indéterminée. Pour nous le film, au début, c'était ce décorum, avexc cette ambiance un peu américaine, et des filles qui s'y croisaient, la nuit. Puis, petit à petit, en jouant la musique et en faisant évoluer le film, une sorte de fiction s'est écrite, avec des rencontres et des choses plus marquées. On est arrivé à un premier montage en 2006, puis on a tourné de nouvelles choses, remonté plusieurs versions, jusqu'à ce qu'on arrive à une sorte d'équilibre de la performance elle-même.

C'est un film qui a toujours été joué, il n'a jamais été projeté sans notre présence sur scène, selon une configuration très simple : basse, guitare et sons d'ambiances. La musique fait vraiment corps avec les images et réciproquement. On ne peut pas jouer l'un sans l'autre. On s'en est rendu compte quand on a enregistré la bande son en studio pour avoir une version dvd du film. On n’arrivait pas à la jouer sans les images.

ABLC : Radio City One relève du cinéma fantastique. Les créatures de la nuit semblent comme des figures de vampires; Cela met le film dans une tradition très spécifique et en même temps, dans sa forme, il est vraiment à côté de cette tradition là. Y avait-il l'intention de créer ce décalage dès le départ ?

Rodolphe Cobetto-Caravanes : Oui, cette dimension là était présente dès le commencement du projet. Il y avait des choses beaucoup plus fantastiques encore, au départ, dans le scénario. Il y avait des hommes à tête de chien qui poursuivaient des gens au second plan, des hommes avec des masques blancs qui tiraient des dés invisibles, des choses comme ça, un peu étranges. Il y a plein d'éléments fantastiques qui ont un peu disparus au fur et à mesure du montage. Ils le déséquilibraient un peu donc on s'en est détourné.

Radio City One est vraiment une coréalisation. Nous nous sommes toujours concertés avec Frédéric Lemaître, même si c'est moi qui ait fait le montage. Le champ dans lequel on s'est rencontré est celui du versant onirique du cinéma expérimental, voire du cinéma tout court. Ce qui nous a réunis, c'est également une passion commune pour la musique rock et une passion pour les filles. Il y avait cette envie dès le début de faire quelque chose d'un peu étrange, avec une ambiance nocturne très forte.

Dans ma pratique, en général, j'ai tendance à dissimuler le scénario le plus possible, mais il en reste toujours quelque chose. Dans tous les films que j'ai réalisés, il y a toujours un scénario. Même si je fais du cinéma expérimental, j'ai besoin de me raconter une histoire, qui peut par la suite disparaître sous les interventions sur pellicule quand il y en a, sous le montage, sous quelque chose de beaucoup plus graphique, esthétique, etc. Mais l'histoire est toujours là.

ABLC : Est-ce que vous avez tourné en super 8 parce que c'est ton format de prédilection ? Est-ce que tu dirais que, dans le cadre de ce projet, le super 8 était le format le plus approprié pour mener cette recherche de formes de cinéma un peu oniriques ?

Rodolphe Cobetto-Caravanes : C'est un peu les deux. J'ai un véritable amour du super 8, du grain, etc. Il y a un truc qui se passe dans l'image que je n'ai pas réussi à retrouver ailleurs. Je trouve l'image super 8 belle et sexy. Je travaille beaucoup en intervenant sur la pellicule et quand je rajoute des couleurs, cela produit des choses vraiment très belles, de l'ordre de la matière qu'on peut toucher. Le projet de FIASCO qui a eu lieu après Radio City One s'appelle Fire Within. Ce film, c'est un peu le contraire de Radio City One, c'est un "semi-FIASCO". On s'est rendu compte après l'avoir joué que quelque chose n'avait pas fonctionné. Fire Within  a été conçu dans une nouvelle configuration du groupe, avec David Bart. Il a fallu qu'on le réalise en un an, suite à une commande de Pantin. C'est un film qui est beaucoup plus proche de la fiction que mes autres films, et curieusement, dans l'écriture, je me suis senti vraiment très à l'aise. On a décidé, notamment pour des raisons économiques, qu'on allait le tourner en numérique. Et là je me suis perdu. J'ai très peu tourné, j'ai appris à utiliser les outils sur le tas, mais je n'avais pas la pratique préalable nécessaire pour me sentir bien. En super 8, tu t'y entends, même si toutes les caméras sont différentes, tu peux t'adapter et tu sais un peu intuitivement ce dont elles sont capables. Avec le 5D, j'ai vraiment mis du temps à faire des images à peu près potables. Je ne m'y retrouvais pas. Je n'avais pas prévu de prendre l'appareil en mains, je voulais me positionner comme réalisateur et laisser le cadre à mon co-réalisateur. A l'arrivée, l'image ne m'a pas du tout plu. Le tournage a également été compliqué, on a oublié, dans le traitement de l'image, de faire certaines choses qu'on envisageait au préalable avec David. Bref, je ne me suis pas du tout retrouvé ni dans les images numériques, ni dans le résultat.

Aujourd'hui, ces images existent, donc je vais en faire quelque chose, car j'abandonne assez rarement mes films. J'ai quelques idées sur la manière de trouver une esthétique qui me plaise et qui me ressemble, mais ce n'est pas encore le moment je crois. Je dois attendre que les images se décantent. C'est la raison pour laquelle le prochain projet de FIASCO, qui est tourné depuis quinze jours, est réalisé en super 8. Je me dis qu'il faudra bien un jour ou l'autre passer au numérique, mais cela va être dur. Il me faut trouver des solutions avant pour obtenir ce que je veux, travailler à fond dans le numérique pour obtenir une image agréable à regarder.

ABLC : Est-ce que tu sens que ces expériences de performance ont changé ta pratique du film ? Est-ce que tu concevrais aujourd'hui de faire un film qui ne soit pas joué, de revenir à une pratique où le film est davantage un objet fini ?

Rodolphe Cobetto-Caravanes : Oui, sans aucun problème. Peut-être que Fire WIthin finira d'ailleurs comme ça. En même temps, c'est vrai que pour ce film, il y avait vraiment une volonté de mise en scène avec l'actrice principal, Ana Orozco qui récitait sur scène le journal intime du personnage qu’elle jouait aussi dans le film. Au départ, on voulait qu'elle interprète presque comme au théâtre, que la performance donne une réelle place à l'espace. Si on refait un jour Fire Within avec Ana, avec qui je poursuit aujourd'hui FIASCO, je me demande si on ne le fera pas sous la forme d'une véritable performance, dans laquelle elle aurait un jeu musical mais également un jeu d'interprète dans l'espace de la salle.

ABLC : Est-ce que tu considères que le cinéma est un art performatif ou est-ce que tu utilises la performance parce qu'il y a des choses que tu ne peux pas faire avec le cinéma ?

Rodolphe Cobetto-Caravanes : Le cinéma peut être un art performatif. Je le pratique comme ça depuis pas mal d'années avec FIASCO, même s'il n'a pas été conçu pour ça. Mais peut-être que l'avenir du cinéma, en tous cas l'avenir de la pellicule, se trouve de ce côté là, dans la performance, dans la proposition d'un truc en plus que n'ont pas les films dans les séances classiques de cinéma. Les gens aujourd'hui pratiquent beaucoup les films de manière solitaire, sur leurs écrans domestiques. Pour attirer les gens dans les salles de cinéma, il faut leur apporter quelque chose qui ne peut avoir lieu que là. Le ciné-concert, c'est un peu ça. Il y a une performance live, des musiciens qui sont là pour ça à ce moment là. De manière plus classique, beaucoup d'exploitants font des séances en invitant des réalisateurs, des acteurs, etc., pour qu'il y ait cette chose supplémentaire. C'est important parce qu'il faut voir un film en salle pour lui donner vraiment sa chance. Si l'image est compressée, de mauvaise qualité, etc., que voit-on d'un film ? Donner sa chance au film, c'est s'enfermer dans une salle de cinéma et le regarder d'un bout à l'autre. La seule chose qu'on peut faire au cinéma, c'est rester ou sortir. Il faut accepter d'être pris en otage pendant une heure ou deux et regarder le film. C'est là que cela commence à marcher, c'est là où des émotions peuvent passer. Sur un écran d'ordinateur, on perd nécessairement une dimension.

ABLC : Est-ce que tu peux présenter un peu le prochain projet de FIASCOBlack Haïku ?

Rodolphe Cobetto-Caravanes : Black Haïku est une commande du festival BBMix, qui m'a demandé de faire une performance en trois parties pour le concert final du samedi soir, où sera notamment programmé Lee Ranaldo. Je dois intervenir entre chaque concert. Le public sera invité à venir voir un film à côté de la salle pendant les changements de plateau. Je ne savais pas que c'était une performance en trois parties au départ, mais cela correspondait assez bien au projet que je voulais proposer. Cela faisait longtemps que j'avais envie de travailler sur trois plans. Là, ce sera trois plans plus ou moins répétés en boucle, avec une musique jouée live. C'est un film qui est un peu basé sur l'effet Koulechov, mais d'une manière musicale. La musique influence la lecture des plans, dans lesquels des changements minimes ont lieu, ce qui fait évoluer le film petit à petit. On a le sentiment de voir trois plans, mais au bout d'un moment, on ne sait plus vraiment si ce sont les trois mêmes plans. Je voulais vraiment ne filmer que trois plans, mais très travaillés au niveau de la lumière. J'ai déjà réalisé un film  en un seul plan par le passé, Zeitlupe, pour lequel j'avais mis des heures à obtenir la lumière qui correspondait à ce que je souhaitais. Je voulais faire un peu la même chose, mais sur trois plans, sur lesquels je n'aurais pas à intervenir par la suite. Je voulais trois plans purs, en noir et blanc, qui tournent en boucle. Cela correspond à la forme du haïku, qui est en trois vers. Le film, très conceptuel, est basé sur la métrique du haïku, qui est en 5-7-5. La métrique des plans se structure de la même manière : un plan court, un plan long, un plan court, eux-mêmes intégrés dans trois parties en 5-7-5. Le film sera assez austère, mais d'après ce que j'ai vu dans l'oeilleton de la caméra, je crois que ça peut aussi être très beau.


Crédits photos : Fancy Blossom & images du film Radio City One
| Auteur : Rodolphe Olcèse

Publié le 15/10/2013