Tinselwood de Marie Voignier

Tinselwood n’est pas sans provoquer un véritable embarras. Il rejoint les films dont l’énigme lancinante repose sur une expérience contradictoire : la conviction de l’irréprochable de sa conduite et de sa méthode d’observation, mais aussi le constat d’une incompréhension, d’un relatif découragement face à sa projection. Cette incompréhension, et c’est son caractère pernicieux, n’est pas celle éprouvée face à une complexité du propos, mais à la difficulté de savoir pourquoi le film reste trop souvent au seuil du sensible, donc de la pensée. 
Bien entendu, tout ceci n’est peut-être qu’un simple échec de spectateur.

Tinselwood est sans doute un peu plus un film sur un lieu que sur les liens entre ses habitants, puisque la relation à ses protagonistes ne provoque pas de croisements clairs, plutôt un éparpillement, du dispars (sans disparition, toutefois). Ce lieu est la forêt primaire en lisière du Sud-Est camerounais ; il est question, à travers la parole de quelques travailleurs, de son histoire coloniale (allemande à la fin du dix-neuvième siècle, puis française après la première guerre mondiale), de l’exploitation des ressources naturelles, des richesses, de la dévastation d’une économie, mais aussi de croyances ancestrales qui persistent à travers une sorcellerie qui bricole avec le milieu végétal.

Différents aspects temporels sont ainsi suggérés à l’occasion de scènes qui convoquent essentiellement dans des gestes simples une activité aussi précaire que précise (un poseur de pièges, des ouvriers du sable, un sorcier, une planteuse de cacao, des chercheurs d’or, etc.). Le film est à l’écoute, en observation délicate, bien que le rideau de l’abondante frondaison fasse parfois écran. C’est d’ailleurs une des opérations continues du film, quelle que soit l’activité filmée : un protagoniste essaie de dégager le champ de l’épais feuillage à la machette (l’arbre est toutefois coupé à la tronçonneuse). Ces feuilles sont toujours susceptibles de faire écran, il s’agit notamment de former une échancrure qui permet de poursuivre. La trame du feuillage n’a étonnamment pas la plasticité qu’elle sait atteindre dans les expériences filmiques contemporaines parmi les plus convaincantes, mais on sent que le film ne cherche pas cette aventure esthétique, que sa proposition est autre.

La deuxième scène du film accompagne un ouvrier du sable. Avec lui, il est à plusieurs reprises question d’un médicament qui le maintient au travail, en soulageant ses muscles endoloris et en le gardant éveillé : le tramadol. Aux côtés de l’addiction et du trafic de médicaments, la problématique de l’éveil et de l’attention remonte à la surface d’un film qui accepte une avancée engourdie (on se gardera d’insister sur cette figure de marchand de sable), sans favoriser un regard hypnotique. L’attention à plusieurs gestes, aux activités des habitants est souvent belle, mais arrive fréquemment un moment où elle patauge. A cet égard, une des dernières scènes, celle qui accompagne les deux chercheurs d’or donne une piste : ils pataugent certes, mais leurs gestes mènent à une finalité incertaine. Ainsi le poseur de piège ne piège pas, le sorcier utilise sa machette pour solliciter un invisible sans accès, etc. La dimension sensible, dans un territoire débordant de ressources visibles ou souterraines, est peut-être à situer dans ce manque, dans une recherche d’une brillance sans insistance, où la richesse ne peut qu’être sécrétée. Seul le son ambiant, ouvre à une véritable ampleur filmique.


| Auteur : Robert Bonamy

Publié le 17/07/2017