SoixanteDixSept : Quand Rossellini filmait Beaubourg

A l’occasion du 40ème anniversaire du Centre Pompidou, un vaste programme d’expositions essaime les centres d’art partout en France. La Ferme du Buisson, le Centre Photographique d’Ile-de-France et le Frac Ile-de-France, le Château / Parc Culturel de Rentilly s’associent pour un projet curatorial dont le nom évoque à la fois l’année de l’inauguration du Centre et le département où ces institutions sont implantées : 77. La circulation des œuvres sur le territoire, au plus près des publics, ainsi qu’une véritable réflexion sur la muséographie et plus largement encore, la place de la culture dans la société sont les lignes de force de ces trois expositions complémentaires.

Roberto Rossellini est à l’honneur au Centre d’art contemporain La Ferme du Buisson. Fait étonnement resté assez confidentiel, quelques mois avant sa disparition, le célèbre réalisateur italien achevait un film dédié à l’inauguration du Centre Pompidou. Dû à un étrange concours de circonstances, ce document rare témoignant de l’intérêt engagé du père du néoréalisme pour les vertus du médium cinématographique dans l’éducation des publics les plus larges vers la fin de sa vie, n’a pas beaucoup circulé. Julie Pellegrin remédie à cette situation, faisant de ce film la pierre angulaire de cette exposition anniversaire. Grâce à un système complexe de rails et à un puissant zoom télécommandé, la caméra de Rossellini s’approprie de manière extrêmement fluide les espaces du nouveau musée que les spectateurs redécouvrent en même temps que les premiers visiteurs du Centre Pompidou lors de son ouverture. Quant au son, le choix est magistral, qui laisse de côté le classique commentaire omniscient en off, au profit d’une multitude de voix anonymes, celles des visiteurs mêmes, captées sur le vif, au moment de la découverte. Les remarques sont savoureuses, cocasses, parfois cinglantes, témoignant du profond bouleversement des pratiques d’accès à la culture dont le Centre Pompidou allait devenir un fer de lance, à la fin des années 70. Ces partis pris filmiques audacieux rendent parfaitement justice à la nouvelle vision muséographique défendue par Pontus Hulten, premier directeur de l’institution.

Un ample corpus d’archives est déplié au cœur de l’espace du centre d’art contemporain La Ferme du Buisson. Directeur de la Communauté de cinéma « Création 9 information » et à ce titre producteur du dernier opus de Rossellini, Jacques Grandclaude est avant tout un homme de terrain. Il filme le maitre en train de filmer le Centre Pompidou. Rossellini au travail (1977) rassemble quelques 120 min d’images qui documentent cette histoire à la fois cinématographique et culturelle en train de s’écrire. Plusieurs heures de rushs sonores enregistrés par Rossellini à l’aide de ses micros cachés, ainsi que 2500 photographies du tournage présentées sur planches contact rendent justice à ce fond longtemps oublié de la fondation Genesium. L’artiste visuelle et productrice Marie Auvity signe quant à elle, sur une commande du centre d’art La Ferme du Buisson, un documentaire qui revient sur les conditions de réalisation du film de Rossellini avec l’appui de quelques personnes-clé au Ministère des Affaire Etrangères de l’époque. Le dernier film (2017) entraine plus loin la mise en abîme entamée par la démarche d’archivage de Jacques Grandclaude.

Les prises de vue fragmentaires, assemblées par Brion Gysin dans des grilles qui reprennent le jeu architectural de la façade de l’édifice signé par Renzo Piano et Richard Rogers - la série Le Dernier musée - ainsi que les perspectives insolites obtenues à travers les cuttings de Gordon Matta Clark dans les murs d’un bâtiment voué à la démolition dans le proche voisinage du chantier du Centre Pompidou, à l’occasion de la Biennale de Paris en 1975 - Conical Intersect -, viennent enrichir et mettre en déplacement le portrait du Musée national d’art moderne.

Dans un même registre qui laisse, à des décennies de distance, une place essentielle à la vision démultipliée, anonyme, éminemment subjective de chaque regardeur, l’exposition du centre d’art contemporain La Ferme du Buisson met en dialogue, la poésie cinétique, hallucinatoire de la Dreamachine de Gysin et l’iconoclasme de la recherche de Melvin Moti. L’artiste né l’année de l’inauguration du Centre Pompidou, revient sur une légendaire visite guidée de l’Ermitage pendant la Deuxième Guerre mondiale où seuls les cadres vides et l’évocation très précise et habitée d’un conservateur témoignent de la richesse des collections mises à l’abri. No Show (2004) envisage une autre relation possible aux œuvres, enrichie par les filtres de la fiction et la mémoire vivante, tout comme la Dreamachine était considérée par son créateur, proche de la Beat Generation, comme « la première œuvre d’art au monde à regarder les yeux fermés». En sous texte se dessine un portrait du Centre Pompidou de par la richesse de ses collections, comme perpétuelle invitation à l’imaginaire. 

 

Une exposition du 40e anniversaire du Centre Pompidou, du 11 mars – 16 juillet  2017


Crédits photos : Emile Ouroumov

Publié le 05/05/2017