Le cinéaste au travail : Autoportraits de Muriel Tinel-Temple

Cet ouvrage interroge la spécificité filmique de l'autoportrait, en abordant notamment des films de cinéastes renommés tels que Berlin 10/90 (1990) de Robert Kramer, JLG-JLG, autoportrait de décembre (1994) de Jean-Luc Godard, Journal intime (1994) de Nanni Moretti ou Chantal Akerman par Chantal Akerman (1996), mais aussi des œuvres moins illustres appartenant au champ du cinéma expérimental (Unglee1, Marcel Hanoun, Olivier Fouchard, Chirstian Lebrat, Lionel Soukaz, Louise Bourque, Dietmar Brehm, Jean-François Reverdy, Anja Cizoska parmi d'autres).

La distinction première est celle qui démarque l'autobiographie de l'autoportrait (qui était présente dans le film de Godard : « Autoportrait pas autobiographie », dit-il). Ces films se définissent tous par la présence du cinéaste (même brève ou essentiellement vocale) dans l'oeuvre, et par le fait de montrer soit le cinéaste au travail soit le travail du film lui-même dans les exemples les plus plastiques : « contrairement à l'autobiographe ou au diariste, l'autoportraitiste ne met pas (seulement) en avant son identité sociale et l'histoire de sa vie passée ou présente, mais plutôt sa position de cinéaste. Il tente en effet de se représenter à un instant donné de son travail quand se pose la question : qu'en est-il de moi maintenant dans le cinéma ?  » (p. 8).

C'est donc le « moi-ici-maintenant » qui fait l'objet de l'autoportrait, sa temporalité étant avant tout celle du « présent continu » (p. 129). Le sujet ne fait pas l'objet d'un récit mais d'une représentation2. A la suite de Michel Beaujour, Muriel Tinel-Temple définit l'autoportrait en lien avec l'invention (p. 119) : l'autoreprésentation est un lieu d'expérimentation, où la matière filmique se donne à voir comme support et analogon de la figure. Les problématiques de l'énonciation filmique (« tous les films autoportraitistes sont à considérer comme des énoncés dans lesquels le sujet de l'énoncé est aussi le sujet de l'énonciation sans que ce sujet se rapporte absolument à l'individu qui se cache sous le nom de l'auteur », p. 88), l'inscription d'une subjectivité dans le film, et le rôle joué par la diversité des supports font également l'objet de développements qui questionnent la possibilité pour le cinéaste de s'identifier au film.

Enfin, à un autre niveau de la réflexivité, l'autoportrait est l'occasion pour le cinéaste d'évoquer son propre travail passé, voire celui d'autrui comme fragment d'une « mémoire de l'invention des formes » (p. 148), comme dans Histoire(s) du cinéma (1998) de Jean-Luc Godard où la mémoire cesse d'être personnelle pour embrasser une dimension encyclopédiste qui caractérise, toujours selon Beaujour, l'héritage de l'autoportrait, et dépasse le statut narcissique du regard sur soi.

 

1 Nous vous invitons à voir l'entretien que nous lui avons consacré : http://www.abraslecorps.com/pages/web_tv.php?id_video=78

2« Le je de l'autoportrait, lui, ne revendique ni une visée rétrospective d'un récit, ni un je personnel, mais un je tendant vers un il s'inscrivant dans et par le film, et lui seul » (p. 101).

 

Le cinéaste au travail : Autoportraits de Muriel Tinel-Temple, Hermann, 2016, 23€


| Auteur : Boris Monneau

Publié le 09/02/2017