Experimental films from the Low Lands : Studio één

 Le dvd « Experimental films from the Low Lands » édité par Re:Voir est consacré à quelques uns des films réalisés entre 1993 et 1999 dans la Studio één, laboratoire de cinéma indépendant notamment spécialisé dans le super 8 fondé par Karel Doing à Arnhem en 19891 aux côtés de Saskia Fransen et Djana Mileta. Cette compilation comporte des films très divers (complétés par un portrait de Karel Doing par Gaëlle Rouard et un entretien filmé avec Louis Benassi, ainsi que par un livret d'une trentaine de pages comprenant des textes écrits par chacun des cinéastes présentés) : l'on y trouve un exercice de found footage autour de l'imagerie industrielle (Energy Energy de Karel Doing, mis en musique par Pierre Bastien et son attirail de machines musicales), une adaptation de Malone meurt de Samuel Beckett (Don't Move de Marc Geerards, qui avait le projet d'adapter la trilogie romanesque beckettienne, qu'il ne réalisa finalement pas), ou des films relevant davantage de la performance (De hand de Frank Bruinsma, Performance de Anet van Elzen). Arrêtons-nous un moment sur ceux qui nous ont semblé les plus intéressants. Malgré cette diversité nous pouvons dégager plusieurs constantes.

 Premièrement les cinéastes font souvent appel à une sorte d'imaginaire corporel, mettant en scène souvent leur propre corps. Haar d'Ania Rachmat a pour motif principal les cheveux de l'artiste, qui pratique également l'autoportrait en peinture et en photographie. Il s'agit d'une exploration des origines indonésiennes de la cinéaste. Les cheveux sont une matière plastique animée par pixilation, et qui au gré du montage se prolongent dans le paysage lui aussi doué de mouvement par la caméra. Chevelure et ramures dansent au rythme de la musique Jaipong, sur une pellicule teintée à l'aide de colorants alimentaires achetés dans une boutique indonésienne. Dans De hand c'est tout le dispositif visuel du film qui tourne autour de la main tendue de Frank Bruisma allant à la rencontre de passants. Le corps est non seulement ce qui figure l'identité, mais aussi ce qui établit un contact avec le dehors. Ce rapport à l'autre est aussi présent dans Voeten de Luk Sponselee, qui est quant à lui consacré aux pieds, ici filmés depuis des axes différents contrairement au film antérieur qui adopte un point de vue unique. Il joue sur l'illusion qu'un seul corps est présent à l'image : deux corps qui n'en font qu'un créent une sorte de mouvement perpétuel. Steen de Joost van Veen et Roel van der Maaden, d'inspiration expressionniste, se focalise sur un l'oeil qui explore un site en ruines et qui semble parfois vouloir rentrer dans la pierre, comme si la caméra pouvait la traverser. Cet œil dans la pierre transforme le monde en surface rugueuse et heurtée, engage un mouvement de métamorphose minérale et passe le seuil entre l'humain et l'inhumain condensé dans la pierre anthropomorphe qui apparaît à plusieurs reprises dans cette déambulation.

 

 

 

 Cette valeur de seuil est explorée de façon plus formelle par d'autres cinéastes. Lichtjaren de Karel Doing donne d'abord l'idée d'un espace cosmique, il nous plonge dans une noirceur qui semble éclairée par les astres. Plusieurs espaces s'entrecroisent dans une approche matiériste du support filmique qui en explore les effets de profondeur. Trois motifs sont d'abord mêlés : les dégradations de la pellicules, des lumières qui pourraient être celles d'une ville nocturne et qui passent en boucle, et enfin des courbes lumineuses qui se font et se défont et semblent avoir été tracées à même l'émulsion, mais s'avèrent finalement être le résultat de la manipulation d'une lampe par le cinéaste qui s'éclaire peu à peu lui-même et devient le sujet principal du film. # 2 de Joost Rekveld tend vers un certain lyrisme abstrait combinant des images naturelles à une expérimentation chromatique réalisée à la tireuse optique, qui aboutit dans la dernière partie à un travail sur le clignotement comparable à celui de Paul Sharits, brouillant la perception des couleurs. Departure on Arrival de Barbara Meter nous plonge aussi dans cet état flottant de la représentation qui caractérise le cinéma à travers une évocation du voyage, entre répétitions et fragments. Comment représenter une chose qui s'en va alors même qu'elle arrive ? En jouant sur les seuils d'émergence, de netteté, d'effacement de l'image dans le flou ou dans le grain, dans le noir ou dans la lumière. Ici tout est plus entrevu que vu. Dans ses motifs, le film rejoue une origine du cinéma, l'arrivée d'un train, mais assume aussi le dépouillement de l'image jusqu'à ne devenir que trace du mouvement, passage de corps dans la lumière.

 

 

 

 

 

 

1En 1996 le Studio déménage à Rotterdam se divise en « Filmwerkplaats et Super8 Reversal Lab.

 


| Auteur : Boris Monneau

Publié le 26/01/2017