Myriam Gourfink / Amas

Myriam Gourfink fait l'événement en ouverture du festival Faits d'hiver avec sa nouvelle création, Amas, qui circonscrit pour la danse "un espace qui ne se vide jamais". Le plateau du T2G retrouve une configuration orchestrale, habitée, avant même l'entrée des interprètes, d'un peuple d'enceintes, autant de musiciens invisibles, amplifiant dans un léger grondement, les signaux électroniques de Kasper T. Toeplitz. La lenteur, toujours de mise dans les pièces de Myriam Gourfink, rend sensible la respiration secrète de la forme, ses tensions basses, nourries en flux continu.

Le diaphragme, le sternum, les iliaques, les omoplates, avec des connexions allant jusqu'au menton, ces différentes régions internes sont activées comme autant de bras de levier qui génèrent et entretiennent le mouvement de cette précieuse horlogerie cellulaire qu'est la danse de Myriam Gourfink. « Revenir à l'état de germe, à l'essence même du travail, à la biomécanique respiratoire », voici le point de départ de cette nouvelle création. 25 ans après ses débuts sur la scène contemporaine, la chorégraphe continue de creuser son sillon. Nous nous souvenons encore de l'événement inouï, bouleversant, que fut le tout premier contact entre ses interprètes, longuement préparé par la pièce Choisir le moment de la morsure (2010).

Le son monte en puissance, réconfortant cette étrange sensation d'apesanteur qui se dégage de la lente évolution, toute en torsions et en écarts inattendus, des danseuses, encore tout près du sol. Les yeux fermés, bouches entrouvertes, elles sont éprises par l'amplitude secrète de leur voyage intérieur. « Il n'y a pas de séparation entre le corps du mental, le corps énergétique et le corps physique et le corps de la béatitude - autant d'enveloppes qui vibrent à des fréquences différentes, qu'on peut discerner, mais qu'on ne sépare pas », précise la chorégraphe. L'architecture de différents espaces est, une fois de plus, extrêmement complexe. Chaque interprète déplie à l'intérieur de sa kinésphère une partition qui évite soigneusement les diagonales et les angles trop attendus. Un regard en survol se laisse étonnement saisir par le subtil déplacement des sphères. Sans pour autant renier l'imbrication de différents niveaux d'engagement, Myriam Gourfink semble travailler les effets de surface. Amas  déploie ainsi ses paradoxes. La lenteur du mouvement véhicule une charge explosive au contact de la matière sonore qui intime une sensation de vitesse ahurissante, supersonique. Parfois une même posture s'offre selon des points de vue légèrement différents ou en infime décalage, creusant un écart vertigineux au sein de la simultanéité. Parfois la  conjonction de deux séquences au ralenti nous permet d'approcher l'essence cinétique du temps. La musique de Kasper T. Toeplitz acquiert une texture mécanique, des moteurs vrombissent enchevêtrant leurs différentes vitesses de rotation. Une paix absolue se lit sur le visage offert de Deborah Lary. La forme d'ensemble gonfle de toutes parts avant que les vortex sonores ne ralentissent pour laisser place, derrière un vague frottement des courroies de transmission, à cette voix cachée qui monte lentement vers la surface sans complètement dire son secret. Atteindre la verticale, réduire les appuis, s'affranchir des schémas habituels — la tâche n'est pas des moindres. Un souffle continu circule entre les danseuses, le son se résorbe, la tempête gronde ce soir de première et fait vibrer les parois du grand studio de T2G.

Amas de Myriam Gourfink a été joué au T2G dans le cadre du festival Faits d'hiver du 12 au 19 janvier 2017



Publié le 17/01/2017