Mark Lewis: Im/possible Films de François Bovier et Hamid Taieb

 Ce livre publié en anglais rassemble trois articles et un entretien consacrés au cinéaste canadien Mark Lewis. Il donne en outre accès, à travers un code vimeo, à 16 films de l'artiste réalisés entre 1995 et 2012. Le titre de l'ouvrage est un clin d'oeil à l'une des premières œuvres de Mark Lewis, Two Impossible Films (1995), inspiré par deux projets cinématographiques non réalisés : celui qui vit Samuel Goldwyn proposer à Sigmund Freud de collaborer avec lui à l'écriture d'un film, et le projet d'Eisenstein d'adapter Le Capital de Marx.

  François Bovier et Hamid Taiev développent cette division conceptuelle entre deux étapes de son travail dans l'entretien qu'ils mènent avec Lewis. Les « films impossibles » sont rapprochées de cette tendance de l'avant-garde que la revue October appelait « new talkie », qui s'empare des codes du cinéma narratif pour les déconstruire et « reléguer le récit dans un avenir toujours à venir1 ». Les « films possibles » se présentant quant à eux comme l'exploration d'une grammaire du cinéma2, des possibilités de base de la prise de vue (car Lewis est un cinéaste de la prise de vue et non du montage : il n'y a aucun montage dans ses films pour la plupart tournés en un seul plan qui respecte la durée d'une bobine de pellicule – et lorsqu'il y a plusieurs plans dans le cas de films numériques la coupe tend à l'invisibilité).

 De ces échanges se dégage l'idée d'un formalisme qui joue la fiction d'une caméra consciente (« the camera as a sentient being ») : en tant que cinéaste, Lewis tente de s'effacer pour essayer de suivre la nature de la caméra, ce qu'elle ferait si elle était douée d'intention. Dans ce « phantasme » comme l'appelle Lewis, il ne s'agit pas d'explorer une matérialité pure du cinéma, comme dans les œuvres les plus radicales du cinéma structurel (pensons à Peter Kubelka), mais de trouver la jonction entre le réel et l'imagination matérielle du film. Le choix des motifs (notamment dans le cadre de la ville moderne, dont le mode de perception, selon Lewis, invitait avant même l'invention du cinéma à l'expérience des images mouvantes : « the modern city is the cinema avant la lettre3 ») se fonde sur cette subjectivité machinique, sur un isomorphisme entre celle-ci et le réel filmé : « If the world is the cinema and the cinema itself is a relatively impoverished version of the same, then we might imagine that a camera with high ambition […] would be in a continual relationship of mimicry with the world of natural moving images. […] Each and every time I make a film, I wonder what the camera would do if it were in a position to make all the decisions. My sense, just to repeat, is that it would seek out things that reminded it of itself, or rather of what it can do, or even what it wished it could do had it the full powers of the world4 ».

 

1p. 9.

2Cf. p. 18 pour un inventaire de ces techniques.

3« Essentially Invention is premised on the idea that actual moving images pre-exist the invention of the cinema through things as seemingly banal as reflections and shadows. It is the modern city, a city that begins to be built in the 19th century that brings clarity and focus to this condition : a city with multiplying reflective surfaces of steel and glass, vehicular traffic that enables people to move through the architectural landscape, and finally a density of citizens who cast a multitude of overlapping shadows as they walk and ride through the city », p. 120.

4p. 121.

 

 

Mark Lewis: Im/possible Films, sous la direction de François Bovier et Hamid Taieb, MētisPresses, 2016, 22 €


| Auteur : Boris Monneau

Publié le 10/01/2017