Dioramas de Laurent Montaron

  L'exposition Dioramas de Laurent Montaron présentée jusqu'au 7 janvier à la Fondation Ricard se scinde en deux parties, auxquelles l'on accède par deux bâtiments différents. Cette dispersion spatiale se double d'une distance établie entre les deux espaces présentés et le spectateur. Dans les deux cas, une vitre et un cadre nous tiennent à distance, comme dans les dioramas qui donnent leur nom à l'exposition. L'espace qui ne peut plus être parcouru mais seulement vu devient image : devenir image à l'époque de la reproduction technique, ce n'est pas seulement briser l'unité de l'espace, mais rentrer dans un temps suspendu, susceptible d'être répété à l'infini.

  L'idée de suspens et de répétition fait partie du processus de formation de l'image comme on l'observe dans le premier espace qui comprend plusieurs objets : y sont présentées trois photos sous le titre de Figure pentagonale, quasi identiques, visiblement prises à quelques secondes d'intervalle, montrant deux femmes se tournant le dos, torse-nues sur un pentagramme : l'une, accroupie à l'avant plan semble déchiffrer quelque formule secrète, l'autre portant une grande toile ou rideau, voile ou dévoile l'objet du regard. La répétition et la spécularité caractérisent aussi le Train de cerfs-volants Saconney, qui reprend l'appareil de prises de vue aérienne inventé par Jacques Théodore Sacconey, ancêtre du drone utilisé pendant la Première Guerre Mondiale. La chambre photographique se trouvant fixée au dernier cerf-volant est dérobée au regard direct du spectateur mais visible par un reflet dans la structure How one can hide from which never sets ?, caisse munie d'un miroir sans teint fabriqué avec des ingrédients proches de ceux utilisés pour développer les photographies. L'effet de miroir et d'expérience différée est prolongé par deux magnétophones Nagra posés au sol (Delay) dont l'un enregistre les sons de cette salle inaccessible et l'autre les lit avec avec quelques secondes de décalage. Les technologies désuètes acquièrent une vie autonome, non-fonctionnelle, le ready-made devient une sorte de machine célibataire. Ces magnétophones, qui étaient utilisés pour le cinéma, renvoient à présent à une scène silencieuse et vide, et annoncent la seconde partie de l'exposition, le film tourné en super 16, La réciprocité du récit.

  Le film résume les caractéristiques que nous avons déjà évoquées et qui sont celles du devenir-image, il joue sur les effets de boucle, de décalage et de suspens, en s'ancrant dans l'imaginaire des technologies obsolètes, ici entassées dans un grenier. Il se fonde sur un récit disséminé dans des plans qui ne l'illustrent pas mais résonnent avec lui : récit onirique d'une femme qui se trouve sur une barque, et découvre qu'elle ne navigue pas à la surface mais en dessous, la matière qu'elle traverse et respire n'étant pas de l'air mais de l'eau. A l'image de cette culbute de l'espace (« Down was up and up was down »), le temps lui-même est inversé : des gouttes d'eau remontent vers un visage attentif aux instructions d'une radio lui indiquant la méthode à suivre pour relancer le fonctionnement d'une montre et « renverser ce que le destin semble nous avoir imposé ». La perte de répères se généralise : l'on ne sait où se situent les voix et les sons que l'on entend, tantôt ils semblent ancrés dans l'image par quelque outil conducteur – une radio, un téléphone – tantôt ils semblent venir d'un espace autre, incommensurable à celui des lieux domestiques dans lesquels évolue la figure féminine principale. Cette désorientation favorise un retour sur soi. Le film a une dimension profondément réflexive, donnant la parole à l'outil de communication lui-même : une machine à écrire IBM Memory, la première dans les années 70 à être équipée d’une carte mémoire capable d’enregistrer un texte tapuscrit pour le restituer ultérieurement toute seule, écrit le message suivant : « Just as one speaks, I have the capacity of constructing languages in which every sense can be expressed without having any idea of what and how each word means. I am neither you nor I ». Cela renvoie à l'expérience du spectateur comme automate spirituel, dont l'oeil et imprégné par les images (le seul plan du film où deux corps humains interagissent est celui où une langue rentre en contact avec un œil, déjà apparu à plusieurs reprises ouvert ou fermé, orienté vers le haut ou vers le bas), embarqué dans des histoires qui le vivent et le meuvent de l'intérieur, le plaçant dans un processus de reproduction qui abolit le temps et en fait une boucle, comme l'alliage qui forme le profil sur la pièce de monnaie est indéfiniment formé et fondu.


| Auteur : Boris Monneau

Publié le 05/12/2016