Where is Rocky II ? de Pierre Bismuth

Where is Rocky II ? de Pierre Bismuth a été présenté au Centre Pompidou dans le cadre du cycle « L'exposition d'un film ». Il propose une enquête (doublée d'une fiction) sur une œuvre méconnue d'Ed Ruscha, intitulée Rocky II : un rocher artificiel placé dans le désert californien à la fin des années 70. C'est une œuvre que personne n'a vue (hors les créateurs et l'équipe du film qui lui a été consacré par la télévision britannique, Ed Ruscha (1979) de Geoffrey Haydon) et dont même les experts interrogés dans le film ignorent l'existence. Tournant autour de ce mystère central, le film développe deux pistes parallèles : un documentaire présenté comme une fiction, avec les figures de style et les clichés propres au cinéma hollywoodien contemporain (c'est notamment la musique omniprésente, sur-dramatisant, qui fictionnalise ces images, non sans une certaine ironie : l'effet, souvent d'angoisse ou de suspense, ainsi obtenu paraît tout à fait disproportionné), suivant l'enquête menée par un détective autour de ce rocher artificiel ; et une mise en fiction de cette situation réelle créée pour le film par deux scénaristes hollywoodiens rejoints en cours de route par un troisième (1) : nous voyons à la fois leur processus de création et les séquences tournées sur le modèle du thriller à partir de leur scénario, interprétées par des acteurs professionnels.

Le cinéma devient un mode d'exposition paradoxal de l'œuvre : elle peut y être exposée dans ses fondements sans pour autant y figurer de manière directe, elle devient un modèle esthétique plutôt qu'un objet de représentation (ici nous ne verrons jamais le rocher, nous ne découvrirons jamais réellement où il se trouve), c'est le geste de l'artiste qui est reproduit : le film s'ouvre sur une citation de Ruscha qui en synthétise le parti-pris : « Hollywood is not just a place, Hollywood is a verb. You can Hollywood something, you can Hollywood anything » (2).

Si le réel est fictionnalisable, c'est aussi que la fiction modèle la réalité : le détective est crédible comme personnage de fiction, malgré l'écart manifeste entre ces séquences et les fragments fictionnels. Il semble lui-même imprégné d'attitudes issues du cinéma. Cette porosité du réel et de l'artificiel, voire cette inversion semblent faire écho aux idées de Jean Baudrillard sur le simulacre et l'hyperréalité, dont Hollywood serait un des noms. La redondance de l'hyperréalité apparaît de façon cocasse dans l'ironie initiale de l'enquête : un détective privé fait des recherches sur l'un des artistes américains les plus célèbres comme s'il s'agissait d'un sujet confidentiel. La virtualité est propre au geste de reprise engagé par Bismuth : les images du documentaire de 1979 se fondent dans celles du film actuel alors que les personnages traversent les mêmes espaces.  Le mystère ne sera pas percé, Bismuth préférant privilégier le principe d'irrésolution, d'indécidabilité, qui est celui de l’œuvre elle-même (3) : au seuil de la découverte, Jim Ganzer qui a créé le rocher avec Ed Ruscha et qui accompagne le détective dans son périple désertique reconnaît finalement : « I don't think it's a piece of art ». Après cela, la bande-annonce d'un film à venir commence.

 

(1)  – D.V. DeVincentis (High Fidelity, Grosse Pointe Blank), Anthony Peckham (Sherlock Holmes, Invictus) et Mike White (School of Rock, Nacho Libre).

(2) C'est aussi le cas pour le film de Serge Bard, Fun and Games for Everyone (1968) montré également au sein du cycle, dont la photographie en noir et blanc extrêmement contrastée, sans valeurs de gris, et le montage répétitif, évoquent le minimalisme des peintures d'Olivier Mosset exposées dans le vernissage qui sert d'occasion au film.

(3) Principe que Ruscha lui-même a adopté dans ses films, entretenant une certaine ambiguïté dans les situations. Dans Premium (1971) l'intention du personnage qui prépare une salade géante dans un lit d'hôtel miteux pour y coucher une femme qu'il tente de séduire, et qui part après avoir vaincu ses résistances et l'avoir enduite de sauce pour acheter le dernier ingrédient, les crackers, qu'il consommera finalement tout seul dans un hôtel luxueux, reste énigmatique, la seule chose manifeste est la symétrie inversée qui préside à l'action.


| Auteur : Boris Monneau

Publié le 29/11/2016