Côté court, quelques notes sur le son

Si au cinéma l'attention se porte le plus souvent sur l'image, il est important de noter que le son joue à parts égales dans l'expérience audiovisuelle. Outre l'importance accordée à la musique dont témoignent les "Soirées (A)live", certains des films vus (et entendus, ou "audio-vus" pour parler comme Michel Chion) au Festival Côté Court cette année présentent un travail sonore particulièrement intéressant. 

Matkormano de Fabien Rennet et Julien Jouvet est un film qui a pour point de départ des images d'archive relatives à une histoire des plus troubles, impliquant Maurice Gérard dit le mage Matkormano. Ce qui fait la singularité du dispositif, c'est le recours au doublage : un acteur dit les phrases de Maurice Gérard, s'inspirant de ses propos réels mais sans les suivre à la lettre. Malgré sa qualité technique, l'on sent dès le début que la voix ne colle pas tout à fait à l'image. Fabien Rennet a souvent eu recours au doublage d'archive, d'abord à des fins comiques et satiriques (Rester mince grâce à bébé). Ici l'effet produit est tout autre : le doublage fait surgir la figure du double, élément fondamental du fantastique, évoquant la pratique inquiétante de la ventriloquie. Ce trouble dans la perception du film va s'accroissant à mesure que le récit devient lui-même plus inextricable (mais c'est aussi, au niveau musical, un crescendo sonore qui accompagne la parole pendant tout le métrage) : Matkormano soutient que deux de ses enfants, ainsi qu'une de ses statuettes magiques (une statuette parlante) ont été enlevés. Au terme de l'enquête policière, la situation tend à se retourner contre le mage, qui est lui-même inculpé, bien qu'il bénéficiera finalement du non-lieu pour manque de preuves. Il est même possible que ces enfants n'aient jamais existé. La zone d'ombre et d'indétermination du document ("Réalité de l'indétermination ou irréalité de la détermination?", telle est la phrase qui clôt le film) est prolongée dans les images filmées par les cinéastes qui montrent les paysages et les lieux déserts autour de la maison du mystérieux personnage, comme un environnement où l'histoire serait disséminée, perdue. La dernière séquence a été entièrement tournée, en couleur (le reste du film étant en noir et blanc), par les cinéastes : elle nous fait rentrer finalement dans cette maison à l'abandon où les clés du crime ou de la disparition seraient peut-être révélées, mais qui nous perd plutôt dans un fouillis d'objets et de signes qui ruine toute possibilité de sens et aboutit au délire d'une voix démultipliée, comme si l'image à la fois retrouvée et perdue parlait maintenant de toutes parts, comme si cette ruine du sens prenait la parole.

Dans Slow-Ahead de Marie Bottois, produit par le G.R.E.C., le montage semble ne pas être ici tant déterminé par l'image que par le son, par les contrastes et les rencontres sonores qui décrivent un voyage. Une multiplicité de parcours qui n'en font qu'un : nous sommes embarqués dans plusieurs navires, sur la Seine, entre les ports du Havre et de Rouen, pourtant nous avons l'impression d'un même trajet. La traversée serait ici une façon de faire résonner l'espace, de conjoindre les distances en une seule vibration. Save my heart from the world de Jacques Perconte s'empare lui aussi du motif maritime, qui est assez habituel chez le vidéaste, mais l'usage qui en est fait se distingue ici des précédents : alors que jusqu'à présent une grande douceur berçait l'image et ses dissolutions, faisant de la désagrégation de la matière numérique (data-moshing) une expérience contemplative, c'est ici quelque chose de plus houleux, une synesthésie plus violente qui vient du rythme donné par la bande son electro-rock de Yan Pechin.

En dehors de la compétition, des cinéastes vétérans explorent aussi d'autres possibilités de percevoir l'image à travers le son, voire à son défaut. Oublis, regrets, repentirs de Boris Lehman, bobine oubliée, "sauvée des eaux", de Mes sept lieux, présente une approche du son qui tient compte de l'accident : en cours de route, l'enregistreur se met à défaillir : tantôt le son passe en accéléré, tantôt certaines séquences sont entièrement privées de bande son. Le dialogue de l'amitié s'exprime dans le silence, et les gestes et l'attitude trahissent l'hypocrisie : "On comprend tout. Le synchronisme c'est de la foutaise."

 

 


| Auteur : Boris Monneau
| Lieu(x) & Co : Côté court

Publié le 02/07/2016