La création cinéma d'Alain Bergala

Recueil de textes écrits sur une période couvrant plus de 25 ans, La création cinéma d'Alain Begarla se propose d'envisager le film comme geste de création, selon un paradigme qui en plusieurs endroits tend à identifier le cinéaste à une sorte de démiurge, ce qui est au premier abord assez déroutant. S'il est tout à fait louable et généreux d'envisager le cinéma comme un art comparable à la peinture, et donc le cinéaste comme un artiste de plein droit, la comparaison devient problématique quand les acteurs et interprètes sont eux-mêmes pensés comme ses modèles et créatures, ce dernier terme sonnant ici avec beaucoup d'étrangeté. Toute figure au cinéma, même la mieux composée, n'est-elle pas toujours également reçue, et le film fortement imprégné d'un réel qu'il n'a pas lui-même engendré mais d'abord rencontré et à pour lequeil il est un lieu d'accueil ?

Mais cette gêne étant passée, l'attention peut se tourner vers la révérence que les textes déploient peu à peu pour le geste cinématographique en tant que tel, à même de se saisir du moindre intervalle pour laisser surgir un monde. C'est en ce sens sans doute qu'il faut entendre le titre de l'ouvrage. Cet ensemble de textes importe donc par la manière qu'il a de chercher ce qui caractérise le geste cinématographique, à travers une fidélité à quelques grands réalisateurs du 20e siècle (Hitchcock, Begman, Renoir, Truffaut, etc.), parfois fréquentés par Alain Bergala sur les plateaux de tournage, comme ce fut le cas avec Jean-Luc Godard, auquel de longs développements sont consacrés. On retiendra particulièrement le texte sur "L'acte cinématographique", qui s'efforce de penser la distinction entre le cinéma amateur et le cinéma professionnel, en montrant que c'est précisément par une sorte de relâchement et d'imperfection, qui n'entrave en rien la bonne volonté du cinéaste amateur toujours soucieux de vouloir bien faire, que les films respirent souvent. Une longue analyse d'une journée de tournage d'un plan de L'entrée des croisés à Constantinople de Jean-Luc Godard vient du reste mettre en lumière que c'est parfois au prix d'une obstination et d'un épuisement apparent du désir que le dispositif cinématographique le mieux élaboré peut retrouver ce mouvement d'ouverture et de respiration qui rend précisément poreuse la séparation entre cinéma d'amateur et de profession. Ce qui est bien le signe que le cinéaste est en son lieu, moins quand il se donne comme un Maître dont l'empire inclut jusqu'à l'existence des visages qu'il filme, que quand il laisse travailler au coeur de son œuvre des formes ou des images absentes, qu'il n'a pas lui même produites, et sur lesquelles son plus grand pouvoir est d'en accueillir des traces.

La création cinéma, Alain Bergarla, Editions Yellow Now, 2015, 30 €


| Auteur : Rodolphe Olcèse
| Lieu(x) & Co : Yellow Now

Publié le 30/06/2016