Caroline Culand-Cassel, Loredana Rancatore : Fois deux

Entre l'oeuvre de Loredana Rancatore et celle de Caroline Cassel, c'est comme si la sculpture et la peinture en se rencontrant échangeaient leurs propriétés.

Les sculptures de Loredana posent en quelque sorte des questions de peinture, comme l'observa justement Caroline lors d'une de nos discussions : certaines ont un format évoquant le cadre de la toile, s'élaborent avec un fort souci de composition, et leur matière porte comme la trace d'un mouvement comparable à celui de la touche. Dans les premières œuvres d'ardoise le volume tend à l'intériorité, c'est comme un espace du dedans qui se trouverait transposé en surface. Les formes géométriques qui lui servent de base sont complexifiées par un travail de texture, d'une matière crénelée, stratifiée, assemblée à partir de brisures d'ardoise soudées sur ces volumes sphériques (évoquant alors les plissements tectoniques de la lithosphère), ou sur ces surfaces planes où se recoupent toutefois différents plans qui créent une impression de mouvement. C'est un travail d'où la couleur est exclue mais qui possède sa propre vibration monochrome, une absorption du regard et presque du toucher (car leur vision donne une impression quasi tactile, haptique autant qu'optique) dans toutes les nuances du noir. En apparence la blancheur et la planéité de surface des Polyêtres, "volumes extérieurs", contrastent avec ces premiers travaux, mais c'est encore ici un mouvement qui s'ébauche : après la stratigraphie, une diagonale dans l'espace pour ces lignes cette fois nettes mais aux multiples replis. 

Les formes de Caroline Cassel rejoignent ces dernière par leur relative épure, leur caractère minimal, mais aussi le jeu entre surface et profondeur, montré et caché, qui naît du pli - mais aussi du recouvrement et du repenti. L'artiste a réalisé cette série de toiles à partir de deux contraintes, l'une morphologique (les formes employées sont déduites - c'est Michael Fried qui parlait de "structure déductive" à propos de Frank Stella - de l'espace dans lequel elles se sont construites, des formes des voûtes et des murs de la Crypte d'Orsay), l'autre chromatique (elle se restreint à l'usage de trois couleurs). Ainsi ces formes sont d'abord déclinées en des patrons cartonnés, qui serviront ensuite de modèles. L'abstraction possède ici aussi une dimension concrète, ce n'est pas la géométrie pythagorico-platonicienne qui descend du ciel pur des Idées, mais une "géométrie incertaine" comme se plaît à la nommer l'artiste, où l'on sent la main de l'homme, et où les formes se mêlent et se rencontrent, chaque geste étant l'occasion d'une possible occultation des précédents, partielle ou totale. Ces formes elles-mêmes conservent un caractère concret, spatial, puisque leur transformation par pliage, renversement ou recouvrement permet d'en générer de nouvelles : ainsi la distance entre la profondeur et la surface se trouve abolie, ou du moins mise en tension, par ces formes traitées tantôt comme des pleins ou comme des vides selon l'usage de la couleur, créant un avant ou un arrière-plan, pouvant aussi être représentées comme des corps concrets, par le marquage de la ligne d'ombre du pli.

Exposition du 2 au 11 juin, 14h/19h, Espace des arts abstraits : Abstract Project, 5 rue des Immeubles industriels, 75011 Paris


| Auteur : Boris Monneau

Publié le 03/06/2016