Fanny de Chaillé / Je suis un metteur en scène japonais

Fanny de Chaillé reprend à son compte l’affirmation absurde de Dany Laferrière – Je suis un écrivain japonais (roman publié en 2008 chez Grasset) – et transpose sur scène la foule de questions qu’elle soulève  : Je suis un metteur en scène japonais. Tout comme l’écrivain, la jeune metteur en scène revendique le fait de ne jamais avoir été au Japon. Elle avoue son envie de travailler à partir de projections, de fantasmes, de la mémoire orale.

Une multitude de témoignages et de descriptions seront donc recueillis concernant le théâtre no, le kabuki et le bunraku – ainsi que des textes théoriques. Son choix se portera finalement sur le bunraku, forme de théâtre de marionnettes originaire d’Osaka. Les connaisseurs s’accorderont sur le fait que Fanny de Chaillé garde la structure de cette vieille tradition  : un seul récitant interprète tous les rôles et trois manipulateurs vêtus en noir agissent en vue du public les marionnettes de taille humaine. Fanny de Chaillé aime travailler dans les plis, creuser l’écart à partir de cette structure qu’elle investit avec une sensibilité résolument contemporaine, de l’humour et une intelligence fine des choix scéniques et littéraires. Des danseurs prendront la place des marionnettes, manipulés, portés, chahutés parfois et les rôles seront éminemment interchangeables. Son intérêt s’attache d’avantage à la danse étrange qui prend corps autour du corps manipulé. Et l’artiste d’avouer  : ce n’est pas la marionnette qui m’intéresse, mais la capacité du collectif à créer une image ensemble. Ainsi la séquence de la manipulation du vide, qu’on s’emploie à étirer, recroqueviller, compresser, étrangler, le corps manipulé étant devenu superflu. La voix du comédien accompagne de l’extérieur, du bord du plateau ces taches, mue en poésie sonore et assume une matérialité certaine. Le texte qu’il récite a la vertu d’entrer en résonance avec certains agissements, mais aussi, et principalement, d’offrir un autre sens à l’image qui se crée. Pas d’histoire légendaire japonaise, Minetti de Thomas Bernhard est joué sur scène – véritable profession de foi, emporté, délirant questionnement sur la vocation théâtrale de l’acteur de génie et de sa relation avec le public, entre l’attirance et la répulsion. Savoir que Bernhard Minetti fut un immense comédien ayant marqué la scène théâtrale allemande des années 70 / 80 en plus de trois cent rôles, et que Thomas Bernhard lui a consacré cette oeuvre qu’il fut le premier à interpréter, nous permet de suivre plus en profondeur la démarche de Fanny de Chaillé, qui propose une mise en abîme vertigineuse.

Comme dans la pièce du célèbre écrivain autrichien, où des éléments biographiques se mêlent à la fiction, la forme théâtrale est ici dépliée, l’art est montré en même temps que le travail de l’art. C’est un art des doubles faces, des perspectives fuyantes et des recoins surprenants, dont la séance d’origami à l’échelle humaine en est une matérialisation ludique et littérale. Le plateau se donne soudain comme une énorme feuille soumise aux infinies possibilités des plis montagnes et vallées – origami nonfiguratif.
Le travail du corps et de la voix place cette proposition à la frontière de différents univers imaginaires, au point de rencontre entre la performance, le théâtre, la danse. La Biennale des arts de la marionnette démarre ainsi avec une proposition forte au Théâtre de la Cité Internationale.
 



Publié le 15/10/2013