Grand Magasin / D’orfèvre et de cochon

Mettre au travail la notion même de travail, la déplacer, la malmener gentiment, y injecter de la poésie, y explorer d’autres imaginaires possibles, voici le pari relevé avec aisance et inspiration par Grand Magasin.

Le festival Faits d’hiver est aussi l’occasion de réunir des artistes en résidence au Théâtre de la cité internationale, autour d’un passionnant programme et, en l’occurrence, autour d’une table. Au delà de ce premier point commun circonstanciel, la question des pratiques respectives des uns et des autres traverse les créations de Pascale Murtin et François Hiffler, de Fanny de Chaillé et Pierre Alferi.

Avec la désinvolture qu’on leur connaît, les deux complices de Grand Magasin s’attaquent à la thématique du travail. Ils jouent le jeu – au départ il s’agissait d’une commande lancée par le Théâtre du Rond Point – et adoptent les codes de la conférence de table et son mode d’adresse frontale. Le sujet, au premier abord assez poussif et contraignant, se révèle une véritable mine d’or, un point de rendez-vous incontournable des normes sociales et de l’expérience subjective, du prosaïsme quotidien et d’une inventivité salvatrice.

Grand Magasin soigne son approche : déblayer le terrain, traverser l’étendue du champs sémantique, ouvrir l’imaginaire, procéder par périphrases, avant de ne prononcer enfin le mot. Le répéter ensuite jusqu’à satiété, tout en le déclinant dans différents contextes. Se lancer dans l’exploration de toute une gamme de synonymes qui enrichissent et déplacent le concept. Faire glisser subrepticement l’attention vers les interstices, les espaces entre, où les sphères sémantiques et normatives se chevauchent et s’annulent, où d’autres manières de faire sont encore possibles.

A la fois drôle et poétique, empreint de musicalité et politique, poignant et enjoué, D’orfèvre et de cochon, l’air de rien, met le doigt sur la question de l’intermittence, défend le droit à la paresse critique et créative, expose les automatismes de langage et de pensée. Rafraichir l’écoute, dépoussiérer les mots et les mettre en mouvement, aiguiser la sensibilité, le travail de cette pièce ménage des moments de suspension, qui se donnent comme de véritables haïkus. Démarche documentaire et démarche expérimentale sont activées à tour de rôles dans une écriture toute en contre-points et paradoxes, à la fois fine et cocasse, qui démultiplie les voix et les perspectives. Prendre un mot au hasard et le laisser se charger de toutes ses potentialités, aménager un espace-temps pour qu’une plume, une paillette ou encore un grain de poussière en chute libre puissent atteindre le sol, tout ceci est à la fois extrêmement simple et prodigieux. Les glissements incessants entre les différents régimes d’énonciation sont à même de rendre sensible la complexité du sujet. Un petit refrain continue à trotter dans la tête longtemps après la fin de la représentation. Revigorant. 

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Grand Magasin, Théâtre de la cité internationale dans le cadre du Festival Faits d’hiver,  du 2 – 15 février 2015



Publié le 09/02/2015