Biño Sauitzvy et Nando Messias / OH!

Les deux majuscules s’entrechoquent et se fondent dans un soupir ou dans une exclamation interloquée : OH ! Derrière ces initiales se tiennent Kazuo Ohno et Tatsumi Hijikata, figures de proue de la danse butoh. Biño Sauitzvy les invoque dans cette nouvelle création qu’il signe en compagnie de Nando Messias. Sur la dalle de béton brut du Générateur, dans cet espace vaste et chargé, propice au déploiement de l’imaginaire, ces spectres viennent hanter les corps, trouvent un écho lointain et surprenant dans les développements du Movimento Antropofagico brésilien, entrent en résonance avec l’actualité la plus brulante, se fondent dans une performance ardue et sensuelle.

Artiste, mais également chercheur et enseignant dans les études de genre, Biño Sauitzvy manie avec aisance et justesse des concepts clé : police du désir, crise de la représentation que sa proposition performative inscrit à même les corps. La tension sexe et pouvoir, traverse comme un fil rouge la pièce. Les créations musicales de Bianca Casady, l’une de voix de CocoRosie, distillent une douceur irréelle, lointaine et enjouée, rendant ainsi d’autant plus implacables les constats des mesures coercitives à l’ordre du jour dans les législations de différents pays à l’endroit des homosexuels : prison, flagellation, mort… A l’heure où en France le combat semblait gagné, le contexte se dégrade rapidement et des images d’exécutions barbares font le tour de la planète, signe qu’il faut rester sur ses gardes, défendre ses positions, prendre encore et encore la parole haut et fort !

Cette dimension politique est enfouie par moments dans une danse lente et hiératique, toute en figures imbriquées, dans les plis de la chair de ces deux corps aux qualités de présence si contrastées et complémentaires. La fragilité émaciée et féroce de tragédienne de Nando Messias, sa grâce et son assurance à la fois calme et provocatrice, la force et la sensualité, toute en roulements de grand félin, de Biño Sauitzvy, nourrissent l’alchimie hallucinée qui se dégage de ce lent mouvement de transformation de deux êtres qui ne font plus qu’un.

Le politique refait surface dans un solo qui n’est pas sans rappeler La survivance des lucioles, ouvrage où Georges Didi-Huberman reprend et développe des considérations de Pier Paolo Pasolini. Seuls deux rayons de lumière percent l’obscurité totale, éclairant par moments les formes du corps qui les porte en ses orifices et les entraine dans sa danse en rondeurs. Au gré des ondoiements et glissements massifs, l’aveuglement arrive, la source est clairement identifiée, sans que pour autant autre chose ne soit donné à voir que cette lumière fragile et insistante.

Robes à paillettes, manteaux en fourrures et escarpins qui donnent le vertige, mais aussi sacs en plastique transparents qui entravent le souffle, les accessoires de cette dernière séquence aux airs légers et enjoués de cabaret, lui préservent une certaine nuance de trouble. 

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Pièce programmée au Générateur les 20 et 21 janvier 2015 dans le cadre du festival Faits d'hiver


Crédits photos : Darrell Berry
| Lieu(x) & Co : Le Générateur

Publié le 27/01/2015